People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 04/09/2018

Rencontre avec Cédric Anger, Guillaume Canet et Elisa Bachir Bey

Au milieu d’un agenda bien chargé, le réalisateur Cédric Anger, entouré de ses comédiens Elisa Bachir Bey et Guillaume Canet, a fait une halte devant les journalistes, entre une présentation furtive au public nantais et un débat à Rennes, afin de nous présenter la comédie rétro L’amour est une fête.

Comment l’envie de ce film est-elle née ?
Cédric Anger : J’avais depuis longtemps le désir de faire un film sur le cinéma porno en France dans les années 80. Sur les gens qui le faisaient. C’était très différent de la façon dont cela se passait aux Etats-Unis, où il y avait beaucoup d’argent, et la manière dont les choses se passent désormais. L’amateurisme et la camaraderie primaient. C’était souvent l’affaire de petits bourgeois qui s’amusaient, qui avaient envie de choquer, de se rebeller. On était juste après 68, une période où le sexe était encore très libéré. Ainsi, il était plus grave d’aller diner au restaurant avec un(e) autre que de tromper au lit sa moitié. A travers cette idée, j’aimais aussi le côté ludique permettant d’apporter un commentaire sur notre époque. Par ailleurs, j’avais lu plusieurs histoires concernant la Mondaine qui, dans les années 80, avait eu pour mission de mener la vie dure aux pornographes. Enfin, je trouvais amusant comme point de départ de prendre deux types qui découvrent complètement le milieu du porno.

Votre film mélange les genres. Etait-ce une volonté dès le départ ?
Cédric Anger : J’avais effectivement envie de surprendre le spectateur. De jouer avec lui. De l’emmener vers un genre, puis un autre. Je n’avais pas envie de concurrencer le cinéma d’infiltration, dont il existe pléthore de films. L’enquête est ici juste un prétexte. J’avais plus en tête l’idée d’un voyage, d’un vagabondage, avec la découverte d’une façon de vivre nouvelle, insouciante. Je voulais que le récit et la forme se développe très librement afin de souligner l’esprit libertin et libertaire de cette époque. 

Pourquoi ce titre, L’amour est une fête ?
Cédric Anger : L’amour est une fête est une expression usuelle de cette époque. Pour éviter la censure, les réalisateurs ne parlaient pas de film porno, mais de film d’amour. Puis cela reflète bien la dimension festive des tournages à cette période là. Il y avait bien souvent plus de rapports sexuels entre les prises que pendant. Les assistants toquaient même aux portes des chambres pour que les acteurs s’économisent. Souvent, à la fin du tournage, l’équipe proposait de terminer « la fête » qu’est le film en partouze. C’étaient des mœurs différentes.

Votre façon de montrer le porno des années 80 peut sembler un peu idéalisée, vu avec le regard d’aujourd’hui. Vous êtes-vous renseigné afin d’être le plus réaliste possible ?
Cédric Anger : Bien sûr que je me suis renseigné. Et honnêtement, dans le porno de l’époque, cela se passait comme ça. Il y avait un côté festif, joyeux, familial. Cela peut sembler rose, car ce n’est plus du tout comme ça aujourd’hui, mais je n’ai pas trouvé le moindre témoignage négatif à propos de cette période. Récemment, Brigitte Lahaie expliquait justement qu’avec le porno, à travers le regard des hommes, elle avait trouvé une source d’épanouissement. Il faut aussi savoir que dans les années 80, les films pornos faisaient 10 millions de vues et on allait souvent en couple les voir. L’image n’était pas du tout la même qu’à présent.

Le duo Guillaume Canet-Gilles Lellouche était-il une évidence pour vous ? Pourquoi ?
Cédric Anger : J’ai écrit le film pour Guillaume et Gilles. Je leur ai même fait lire la première version du scénario. Ce sont des acteurs qui, au-delà de leur camaraderie, sont très opposés. Guillaume est à l’économie. Il a un côté mystérieux. On ne cerne pas forcément sa pensée. Gilles est plus latin. Il est davantage dans la démonstration. Pour ces deux aspects, ce duo était intéressant à mes yeux.
Guillaume Canet : Ce qui est amusant, c’est que contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, c’est la première fois que Gilles et moi jouons ensemble. C’est la 8efois que nos deux noms sont au générique d’un même film, mais nous ne nous étions jamais donnés la réplique. Ca a d’ailleurs parfois été bizarre et pas si évident du coup. Et il y a une autre anecdote : Cédric nous avait déjà proposé un long métrage il y a 20 ans à Gilles et moi. Alors qu’on ne se connaissait pas encore tous les deux. Finalement, le projet ne s’était pas concrétisé car le film avait été jugé trop violent et demandait trop de moyens.

Accepte t-on facilement, lorsque l’on est comédien, de jouer dans un film traitant du porno ?
Elisa Bachir Bey : Quand Cédric nous a exposé la manière dont il voyait le film, ce n’était vraiment pas vulgaire. C’était libéré, mais presque familial. Il nous a bien expliqué le contexte de l’époque. Il n’y avait pas l’aspect pervers que l’on peut retrouver aujourd’hui.
Cédric Anger : Il est évident que je n’aurais pas pu faire ce film en le situant de nos jours, ou même dans les années 90. Le contexte est tellement différent.
Elisa Bachir Bey : Au départ, avec les autres filles, nous avons eu un peu peur des scènes de nu. On ne voulait pas que ce soit vulgaire. Mais finalement, malgré la nudité, tout ça reste très léger. Il y a même un côté enfantin, naïf. Ce n’est pas pervers. Pas même sexuel. J’ai pu parler avec des filles qui sont actuellement strip-teaseuses et toutes ont un mal être. Mais à l’époque, le rapport à ce métier était très différent. Ces jeunes femmes aimaient le regard des hommes. Elles aimaient danser. Elles aimaient plaire. C’était une pensée pure.
Guillaume Canet : Pour ma part, le problème de la nudité ne se posait pas car je n’avais pas besoin de me déshabiller. Donc déjà, ça simplifiait les choses. Dès le départ, le personnage que j’incarne et le sujet m’ont plu. Je vois ce film un peu comme une ode au cinéma artisanal, au fait de se réunir et d’être heureux de faire des choses ensemble. Puis, j’avais déjà travaillé avec Cédric qui m’avait offert un de mes plus beaux rôles dans La Prochaine fois je viserai le cœur. J’aime sa façon de raconter les choses, de les suggérer. J’avais donc très envie de retravailler avec lui. Je lui faisais entièrement confiance. 

Qu’est ce qui vous séduisait dans le fait d’interpréter ce personnage ?
Guillaume Canet : C’est un personnage en noir et blanc une bonne partie du film, qui passe à la couleur à la fin. C’est un solitaire qui ne veut pas de contrainte. Son amour à lui, c’est la came. Il la maitrise parfaitement. C’est un personnage qui m’intéressait beaucoup et qui, en plus, me faisait penser à quelqu’un que je connais bien, dont je me sui inspiré. Pour tout dire, c’est la première fois que j’ai eu du mal à sortir d’un personnage. A m’en défaire. J’aurais aimé que ça continue encore un peu, ces soirées passées tous ensemble au château, comme on le voit à l’écran. Car même si c’était pour le film, on était vraiment bien. Cédric a beaucoup de talent pour créer des univers où on se sent bien.

Ce film donne l’impression d’une fin en suspens. Est-ce volontaire ?
Cédric Anger : Je voulais surtout montrer un mouvement. Au début, le film se situe en ville, la nuit, puis on se dirige peu à peu vers la vie, le soleil, la campagne. Je n’avais pas envie d’un truc conclusif, mais juste être dans l’émotion. Le coucher de soleil final symbolise la fin de l’âge d’or du porno, mais aussi d’une certaine forme d’insouciance puisqu’en 1983, l’année suivante, le sida allait faire les gros titres. 

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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