People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 13/02/2017

Rencontre avec Christelle Berthevas et Arnaud des Pallières

Après avoir orchestré ensemble pour le film Michael Kohlhaas, Arnaud Pallières et sa co-scénariste Christelle Berthevas remettent le couvert à l'occasion d'un drame tirée de la vie de cette dernière.

Quelle est la genèse d’Orpheline ?
Arnaud des Pallières : Ce film vient du souhait de transposer au cinéma l’histoire personnelle de ma co-scénariste Christelle Berthevas. C’était en 2010. Son histoire me passionnait et j’avais très envie de mettre en scène une femme. Qui plus est, issue d’un milieu différent du mien. Jusqu’alors, j’avais essentiellement traité de personnages masculins donc j’avais envie de rectifier un peu le tir par le biais du portrait d’une femme aussi complexe et riche que possible. Mais pour rentrer au mieux dans la peau d’une femme, je préférais m’appuyer sur une histoire réelle plutôt qu’une fiction.

Comment vous y êtes-vous donc pris ?
Arnaud des Pallières : J’ai demandé à Christelle d’écrire tout ce qui se rapportait à son enfance et sa jeunesse, dont elle m’avait déjà parlé, afin que l’on puisse puiser dedans pour le scénario. Je me suis placé sous son autorité émotionnelle. Lorsque je fais un film, c’est pour expérimenter une autre vie que la mienne et partager cette expérience avec le spectateur. Elle a alors jeté ses souvenirs sur le papier de manière fragmentée. Nous avons ensuite peu à peu organisé le tout autour de quatre âges différents : de la fillette à la jeune adulte, en passant par l’adolescente et la jeune fille.
Christelle Berthevas : Lorsque j'ai commencé à écrire mon histoire, je ne pensais pas à un potentiel futur film. Naturellement, j’ai couché cela sur le papier en fragments et à rebours. Les choses sont venues à moi de la sorte, sans réflexion préalable sur la structure narrative. Au départ, il y avait vraiment beaucoup de matière. J’avais l’impression de pouvoir raconter plusieurs histoires distinctes à part entière. Puis nous avons élagué pour ne conserver que trois, puis quatre histoires.
Arnaud des Pallières : Chaque histoire s’est révélée suffisamment dense et développée pour être relatée en profondeur et que le spectateur puisse s’attacher à chaque personnage de façon égale. L’aspect rebrousse temps permet de faire fonctionner le film comme une poupée russe. Il faut ouvrir la femme pour y trouver la jeune femme, la jeune femme pour y trouver l’adolescente et ainsi de suite. Ce qui m’importait énormément, c’était de préserver l'émotion que j'ai ressenti lorsque Christelle m'a raconté cette histoire. Ce récit m'a ému. Il était fait de petits morceaux d'émotions que j'ai eu envie de partager du mieux possible.

Le choix des actrices a donc été primordial…
Arnaud des Pallières : Dès le début de l’écriture, il m’est apparu évident que l’héroïne ne pouvait pas être incarnée par la même actrice. Il s’agit d’un film sur l’identité et le fait que notre vie est faite de plusieurs vies, notre être de plusieurs êtres. Ca me tenait très à coeur de montrer que l'on est constitué de différents morceaux, de plusieurs strates. Donc, le fait d’avoir quatre comédiennes différentes avaient un sens.

Avez-vous tout de même essayé de trouver des comédiennes se ressemblant ?
Arnaud des Pallières : En fait, on s'est demandé s'il était important qu'elle se ressemblent en fonction des âges ou si le plus important était que chaque actrice soit la meilleure. La deuxième option a emporté notre préférence. Finalement, la ressemblance est quelque chose d'assez subjectif. Lorsque je vois des photos de ma grand-mère jeune, je ne la reconnais pas forcément. Je ne l'imagine pas derrière ces traits. L'idée était donc ici de choisir chez chaque actrice ce qui convenait davantage moralement que physiquement. J'aime que les rôles correspondent aux caractères des acteurs.
Christelle Berthevas : On a eu un déclic à travers un film intitulé Terre Brûlée. Il nous avait beaucoup libéré concernant les questions de ressemblance et de temporalité. Cela nous a permis beaucoup d'expérimentations.

Comment se sont fait vos choix ?
Arnaud des Pallières : La première actrice que j'ai vue est Vega Cuzytek qui joue la petite fille. On m'a montré une photo d'elle et cela m'a paru évident qu’il s’agissait de la bonne. Mais j'ai malgré tout mis le cliché de côté et fait un casting afin de me confronter à d'autres filles de son âge. Ensuite est venue Adèle Haenel avec qui je voulais vraiment travailler. Mais je ne savais pas si je voulais qu'elle incarne le personnage de 20 ans ou de 27 ans. Puis lorsque Adèle Exarchopoulos est arrivée sur le projet, elle a tout de suite dit que la jeune femme de 20 ans, c'était elle. Du coup, les choses se sont faites comme ça. Puis, Solène Rigot est arrivée lorsqu'il a fallu trouver une comédienne de minimum 16 ans afin de jouer un personnage de 13 ans. Son corps de femme et son visage d'enfant correspondait très bien à ce que l'on cherchait. Finalement, c'est après ces trois choix que j'ai définitivement dit oui à Vega Cuzytek.
Christelle Berthevas : Sur le casting, j'ai fait une grande confiance à Arnaud. Moi, j'avais surtout deux inquiétudes, c'était au niveau des deux plus jeunes actrices car il s'agissait de leur faire jouer des choses dures, sombres voire excessives.

Etes-vous restés très fidèles à la réalité ?
Arnaud des Pallières : Cela a été la base de l’écriture du scénario. Nous nous sommes nourris des souvenirs de Christelle. Nous sommes donc plutôt assez proches du réel.
Christelle Berthevas : Je dirais que le film est à la fois fidèle et infidèle à mon histoire. Il y  quelques apports fictionnels à certains moments. Par exemple, l’idée d’intégrer un quatrième personnage comme une sorte de fil rouge tout le long du film. L'histoire de Renée, incarnée par Adèle Haenel, est en effet arrivée sur la dernière année d'écriture. Ce personnage est à 95 % de la fiction. Il s'agit de la partie la plus écrite qui permet néanmoins de mieux comprendre le personnage et l'histoire. Il offre une meilleure cohérence et répond à notre désir de parler de la question de l’identité. Pour le reste, je dois dire que je me suis volontairement effacée sur le tournage pour ne pas influer sur le travail d'Arnaud et des filles. J'ai accepté de confier mon histoire à Arnaud et de m'en faire déposséder d'une certaine façon.
Arnaud des Pallières : Ce film dit ce que c'est que d'être une femme. A la campagne, dans un milieu populaire… Je me devais d'être fidèle à l'histoire mais pas à la vérité historique qui est arrivée à Christelle.

Comment définiriez-vous ce personnage de femme quelque peu troublant ?
Arnaud des Pallières : C'est un personnage énergique qui se prend des coups mais qui se relève. Ce n'est pas qu'une victime, c'est aussi une héroïne en quelque sorte. Elle n'a d'ailleurs pas l'image habituelle de la victime. C'est une histoire sombre mais qui déploie finalement un élan vital grâce au personnage. Il n'y a pas de misérabilisme malgré la dimension tragique. Les choses arrivent à quelqu'un en train de courir… Des choses lui arrivent certes, ça fait mal, mais ça va vite.
Christelle Berthevas : L'idée était de ne pas proposer quelque chose de mou, de préserver l'énergie, la vitalité. Sinon, si on ne fait qu'observer ce qui se passe, on se sent écrasé par les difficultés. Avec une expérience comme ça, on peut s'écrouler ou bien on avance.
Arnaud des Pallières : Finalement, c'est un film coloré, contrasté, pêchu, un peu rugueux. Les choses y sont montrées et dites frontalement mais il ne s'agit pas pour autant de faire souffrir le spectateur.

Comment avez-vous pensé à ce titre ?
Christelle Berthevas : C’est aux trois-quarts de l'écriture que j'ai pensé au titre Orpheline. Avant, cela s'appelait La fille. Mais à un moment, le mot « orpheline » s'est mis à résonner dans ma tête et j'ai été voir les différentes définitions dans le dictionnaire. Je me suis alors rendue compte que toutes avaient un sens par rapport à chaque étape de l'histoire. Ce terme vient également souligner la façon dont se voit ce personnage.
Arnaud des Pallières : C'est un mot très fort et je trouve cela important pour un titre. Il y a un côté mystérieux qui me plaît. Tout le film se raconte du point de vue du personnage féminin principal et c'est beau que le titre soit l'émanation de celui-ci. Le titre affirme l’identité de cette femme de son point de vue à elle.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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Sortie : 29/03/2017

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