People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 02/09/2016

Rencontre avec Delphine, Muriel Coulin et Sylvain Loreau

Voir du pays, le second long métrage des sœurs Delphine et Muriel Coulin, s’immisce dans un sas de décompression de l’armée française au cœur d’un palace chypriote. Avec à l’affiche, un jeune Nantais et ancien militaire Sylvain Loreau.

Pourquoi avoir choisi de traiter ce sujet sous la forme de la fiction ?
Muriel Coulin : Cinq ans après 17 filles, on avait vraiment envie de retrouver la fiction. Et puis le sujet s’y prête parfaitement. Lorsque l’on a entendu parler de ce sas, on s’est dit qu’il y avait quelque chose de très cinématographique là dedans.
Delphine Coulin : Même si j’ai travaillé pas mal pour des documentaires, notamment pour Arte, j’ai besoin de me sentir libre, de faire vivre mes personnages à moi. Je m’amuse davantage avec la fiction. On voulait ajouter du suspense. C’était important pour nous qu’il y ait une tension grandissante. On aime les retournements de situation, emmener le spectateur sur de fausses pistes.

Comment avez-vous entendu parler de ce sas de décompression pour l’armée ?
Delphine Coulin : Nous venons de Lorient, une ville où l’armée est présente. Nous avons donc presque toujours côtoyé des soldats et cette histoire de sas, c’est justement un militaire qui m’en a parlé un jour. Cela m’a alors donné envie d’écrire un roman à ce sujet.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sas ?
Delphine Coulin : Cela existe depuis 2008 et la guerre en Afghanistan. Depuis, tous les soldats français qui reviennent d’un conflit passe par ce sas de décompression pendant trois jours afin d’essayer d’oublier la guerre. Il s’agit de les aider à encaisser les premiers coups pour qu’ils retrouvent un semblant de calme avant de rentrer. Au cours du programme organisé par des psychologues de l’armée, les militaires ont droit à différents loisirs ainsi qu’à des réunions collectives durant lesquelles chacun doit raconter ces souvenirs de guerre pour exorciser les choses. Cela se fait à base de réalité virtuelle et cet aspect a un côté intéressant car il pose la question de l’image et de son pouvoir. Les images sont-elle là pour remplacer les souvenirs ou pour soigner ? Au final, il s’avère que ce sas marche plus ou moins selon les personnes.

L’étape de ce sas est très peu connue du grand public…
Muriel Coulin : En fait, l’armée a pris conscience des troubles invisibles il n’y a pas si longtemps. Elle a donc décidé de prendre ces problèmes de traumatisme à bras le corps que récemment.
Sylvain Loreau : Les syndromes post-traumatiques sont difficiles à anticiper mais cela peut arriver à tout le monde. Pas seulement aux militaires. Dans notre cas, même si on est mis en condition, plus ou moins préparé psychologiquement, personne ne peut réellement être prêt à vivre la guerre. C’est comme lorsque l’on fait une simulation d’accident de voiture, cela n’a rien à voir avec un véritable accident. Ce genre de parenthèse ne sert pas à rien je pense.

L’histoire se déroule à Chypre, pourquoi ce choix ?
Delphine Coulin : Dans un souci de réalisme car le véritable hôtel dans lequel l’armée française organise ces sas de décompression se trouve à Chypre. Puis, cela tombait bien car Chypre est divisé en deux, avec une partie turque et une partie grecque et ma sœur et moi sommes très proches de la Grèce. Nous y allons depuis que nous sommes toutes petites. C’est un endroit que nous connaissons bien et que nous aimons beaucoup. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que la Grèce représente la naissance de la démocratie, de l’Europe… Il y a donc également un côté symbolique entre ce lieu et le théâtre des opérations militaires.

Ce sas offre des scènes étonnantes entre des touristes en maillots de bain s’amusant et ces militaires de retour d’opération…
Delphine Coulin : Après 6 mois de guerre, il est vrai que ces quelques jours en compagnie de femmes et d’hommes peu vêtus, avec de l’alcool à disposition représentent un choc.
Muriel Coulin : Le contraste visuel est en effet saisissant et cela se passe comme ça dans la réalité. Au milieu des touristes. En fait, le film montre une redécouverte progressive de son corps et de ses sensations. Peu à peu, les filles passent de l’uniforme à la robe.

Pourquoi vous êtes-vous centrées sur des personnages féminins ?
Delphine Coulin : Nous venons de Lorient comme Aurore et Marine dans le film, et à chaque fois que nous croisions des femmes militaires, nous nous interrogions sur leurs motivations à s’engager dans un milieu très masculin. Ce film s’intéresse à la construction du féminin et poursuit notre réflexion amorcée dans 17 filles.

Comment s’est déroulé le casting ?
Muriel Coulin : Lorsqu’on choisi des acteurs, c’est pour leur qualité de jeu bien sûr mais aussi en grande partie pour leurs qualités humaines. Il s’agit d’un aspect essentiel pour nous surtout lorsque l’on joue en groupe. En ce qui concerne les deux comédiennes principales, nous n’avons pas fait de casting. Dès l’origine, nous savions qui nous voulions. Nous avions vu Ariane Labed dans son premier film Attenberg d’Athina Rachel Tsangari et nous avions adoré. Elle nous semblait vraiment intéressante et nous nous sommes dit qu’il fallait absolument travailler avec elle à l’avenir. Pour Soko, c’est un peu pareil, nous l’avions remarqué notamment dans Augustine d’Alice Winocour ou dans ses clips, et nous avions été saisies par sa présence. Nous voulions deux filles puissantes qui n’aient pas peur de s’engager tout en étant différentes et complémentaires.
Delphine Coulin : Soko et Ariane Labed étaient donc les deux piliers centraux autours desquels le casting s’est fait. On cherchait des comédiens qui marchaient individuellement mais qui fonctionnaient également collectivement. Il fallait de la connivence. Nous les avons donc choisi un par un puis testé à plusieurs pour voir si la sauce prenait.

Comment avez-vous choisi Sylvain Loreau ?
Delphine Coulin : En fait, nous nous sommes rencontrés à l’occasion d’une émission de Pascale Clark. Lui était présent afin de parler de son expérience d’ex-démineur de guerre en Afghanistan et moi pour parler de mon livre. Il m’a beaucoup intéressé et nous avons discuté après l’émission. L’idée du film n’était pas encore avancée mais je lui en avais parlé un petit peu…
Sylvain Loreau : Avant de m’engager dans l’armée, je voulais faire du cinéma. J’avais fait du théâtre, mais j’avais plus ou moins laissé tomber. Puis j’ai rencontré Delphine Coulin qui m’a parlé de cette idée de film et plus rien pendant des mois. Je n’y croyais plus jusqu’à ce qu’elle me rappelle. Ca a été une très bonne expérience et j’espère refaire des films.
Delphine Coulin : D’ailleurs, dans le film, il y a cinq anciens militaires à l’écran.

Avez-vous eu des retours de l’armée ?
Delphine Coulin : Déjà, nous en avons eu de la part des cinq militaires qui jouent dans le film et ils l’ont trouvé très réussi. Ensuite, nous avions fait appel à deux colonels au début du tournage afin d’être crédible. Après l’avoir vu, l’un des deux s’est montré hyper ému et nous a dit que ça lui avait rappelé ses gars. Ca nous a fait plaisir.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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Sortie : 07/09/2016

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