People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 02/02/2018

Rencontre avec Edouard et Stan Zambeaux

Réfugiés dans la salle du petit déjeuner de l’Hôtel de France - en raison d’une conversation menée à bâtons rompus dans la salle originellement dévolue à la rencontre -, les frères Zambeaux (Stan et Edouard) nous ont livré quelques infos sur les coulisses de leur deuxième documentaire, Un jour ça ira, réalisé à quatre mains. En toute décontraction, dans une ambiance chaleureuse et conviviale, contrastant avec le froid glacial sévissant dehors…

Quelle est la genèse de ce nouveau film ?
Edouard : Pour l’un comme pour l’autre, il ne s’agissait pas d’un sujet nouveau. Tous deux nous avions déjà abordé la thématique des migrants. Moi comme journaliste à la radio et Stan avec ses films. Il nous a alors semblé logique de la traiter ensemble. D’autant qu’en creusant, il paraissait évident que cette histoire méritait un format plus long. Lorsque nous avons eu vent de ce centre, L’Archipel, nous nous y sommes rendus afin de voir à quoi cela ressemblait. Directement, nous nous sommes rendus compte que ce lieu concentrait tous les ingrédients pour un film de cinéma. Qu’il s’agisse du site en lui même et des gens le peuplant.

Qualifieriez-vous votre démarche de journalistique ?
Edouard : A l’origine, il y avait l’envie de faire quelque chose de beau pour décrire une réalité souvent présentée sous un aspect essentiellement miséreux. Nous avions envie d’avoir une approche esthétique de cette question, de magnifier les personnages, de montrer que la situation extrêmement compliquée dans laquelle ils étaient n’atteignait pas leur dignité. Il y avait cette volonté-là et c’est en cela qu’on est à mes yeux au-delà du journalisme. Et puis le traitement se veut beaucoup moins descriptif qu’une approche journalistique. Nous n’avons pas du tout modifié la réalité, mais nous voulions montrer la poésie qui émane de ces enfants qui vivent au 115. Nous voulions juste avoir un regard bienveillant, optimiste, nous laisser surprendre et nous laisser porter par l’énergie spontanée qui émanait de ce lieu. On voulait s’extraire de ce que l’on voit à la télé. Il fallait à tout prix éviter les clichés sur la pauvreté, les migrants, les centres d’hébergement, proposer quelque chose de différent, de nouveau. On voulait se libérer de la grammaire habituelle. On ne voulait pas appuyer la faiblesse de gens déjà en faiblesse. Ce n’est pas du pathos que nous recherchions, ni du sensationnel. Nous voulions leur donner la parole.

Comment avez-vous travaillé en binôme ?
Stan : Nous avons écrit le film ensemble. Puis, de part nos métiers respectifs, nous nous sommes complétés. Chacun apportant ses compétences. Sur ce film, j’ai notamment été très présent durant la préparation, les repérages pour permettre de faire voyager la caméra dans le lieu. Mais aussi réaliser de petites choses périphériques pour que les résidents, jeunes et moins jeunes, puissent s’approprier la caméra, qu’elle leur devienne familière.
Edouard : De façon générale, tout du long, nous avons toujours beaucoup échangé. Stan, par sa qualité de documentariste, a fait un énorme boulot sur le terrain. Concernant, l’écriture et la réécriture, nous avons vraiment fait cela tous les deux. L’idée était d’essayer d’inventer, de découvrir, au fur et à mesure, quels pourraient être les outils narratifs pouvant servir de fils rouges.

Justement, comment vous y êtes-vous pris pour donner corps à ce documentaire, raconter une histoire ?
Stan : Le boulot sur un doc est d’organiser le réel, d’où l’importance des repérages pour anticiper l’écriture. Mais attention, on ne parle pas de triche. Il s’agit de bien connaître l’environnement, les lieux, les individus afin d’être préparé. Après, il y a forcement un peu de story-telling mais qui ne trahi en rien la réalité. On a juste mis un cadre parfois afin de pouvoir aborder certains sujets, certaines thématiques qui semblaient essentielles. Mais on ne forçait à rien, tout le monde était libre, on laissait se faire les choses. Cela finissait par arriver naturellement. Il n’était pas question de travestir quoi que ce soit. Il y a simplement une construction au service des personnages et de ce qu’ils vivent. Le regard porté sur les gens révèle ce qu’il y a en eux. Tout le monde a quelque chose à raconter, à dire.
Edouard : La question qui se pose est : à qui appartient le récit ? La réponse : à eux. Nous, nous les accompagnons. Tu fais un film avec le lieu, tu fais un film avec les gens qui y sont. Le premier enjeu était de construire le projet avec eux pour qu’ils sentent que l’on pourrait réellement raconter quelque chose ensemble.

Comment le choix des deux enfants principaux s’est-il fait ?
Stan : En tout le film a mis deux ans et demi à voir le jour et nous nous sommes immergés durant des mois dans le centre, nous avons vécu avec les résidents, nous nous sommes imprégnés de l’endroit, nous avons noué des liens. En fait, nous n’avons pas réellement choisi Ange et Djibi. Ce sont plutôt deux coups de cœur qui se sont imposés à nous. Djibi est arrivé tard dans l’aventure, sur les 8 derniers mois du film. Mais ça a été une révélation. Notre rencontre avec lui a été déterminante. Il a rendu possible ce projet. Il faisait le lien entre le monde des enfants et celui des adultes. Il était fédérateur et s’est vite imposé comme la pierre angulaire du film. Il était plein de symboles - le fait de n’avoir jamais vécu dans son pays d’origine, d’avoir la nationalité italienne et française, etc. Il y avait de la tendresse, de la fraîcheur chez lui et il avait déjà fait du théâtre auparavant. Il nous proposait quelque chose que nous n’avions trouvé chez personne jusque là. Quant à Ange, elle était là depuis plus longtemps, avant même notre arrivée. Elle était timide mais on sentait un potentiel intéressant chez elle. Son créneau à elle, pour communiquer, c’était la musique. On sentait que le chant lui permettait vraiment de libérer sa parole. Puis, elle était assidue aux cours. Il y avait une réelle envie, une implication.

Le fait de proposer un huis clos n’est pas non plus anodin…
Stan : Le lieu est important. C’est un écrin. Il est porteur de sens, ce n’est pas qu’un decorum.  Il ouvre sur quelque chose de poétique, de lyrique, d’onirique par sa majestuosité. Il est à la fois très vaste et en même temps fermé comme une bulle.
Edouard : Par ailleurs, ce centre se trouve en plein Paris et cela à son importance. En effet, on fait beaucoup mieux dans ce genre de lieux que dans un hôtel situé au bout d’une ligne RER. Cet endroit donne le droit à la ville, il donne le droit de garder le contact avec le monde, de ne pas être ghettoïsé, d’être à proximité des administrations, de côtoyer d’autres populations très différentes. Cela fait partie du contrat social.

Comment les principaux intéressés ont-ils réagi au film en le voyant ?
Edouard : Ils se sont reconnus en voyant le film. La mère de Djibi était très émue. A la fin de la projection, tous les hébergés présents dansaient, applaudissaient. Ils étaient tous satisfaits du rendu. C’est complètement leur film et ils le vivent comme tel.

D’où tirez-vous vos influences ?
Stan : On tire nos influences autant du documentaire que de la fiction - les Dardenne, Kusturica, Ken Loach, etc. En fait, lorsque l’on raconte une histoire, l’outil doit être au service des gens que tu filmes et pas l’inverse. L’esthétique s’adapte au sujet, la forme s’adapte au fond. En ce moment, d’ailleurs, on bosse de nouveau sur du doc mais aussi de la fiction.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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