People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 12/01/2018

Rencontre avec Franck Gastambide, Christophe Regin, Moussa Mansaly

De retour à Nantes où a été tourné le film La surface de réparation, les comédiens Franck Gastambide et Moussa Mansaly, ainsi que le réalisateur Christophe Regin, se sont prêtés au jeu des questions/réponses dans une atmosphère détendue et bon enfant. Le tout ponctué de petites vannes aussi finement ajustées qu’une passe aérienne de Pedros vers Loko.

Comment l’idée de réaliser un premier long métrage évoquant l’échec d’un aspirant footballeur professionnel vous est-elle venue ?
Christophe Regin : C’est une idée qui m’est venue lorsque j’avais une vingtaine d’années et que je jouais au foot dans un club à proximité du Parc des Princes. La plupart de mes coéquipiers étaient des supporters du PSG et l’un d’eux avait eu l’occasion d’intégrer le centre de formation, avant de voir brutalement les portes se refermer devant lui, comme l’immense majorité des candidats. Il m’a fasciné parce qu’on décelait chez lui une blessure non refermée. Il avait grandi au pied du stade et était incapable de s’en détacher. Il était obnubilé et s’acharnait à rester une sorte de satellite du club en devenant un supporter fanatique, mais aussi un vendeur de places à la sauvette ou de maillots récupérés je ne sais comment. Parmi les jeunes que j’ai côtoyés, il n’était pas le seul dans cette situation et ces types là n’arrivaient pas à passer à autre chose. Toutefois, je ne les vois pas comme des losers mais comme des oubliés du système et je trouvais intéressant de m’attarder sur leur trajectoire. De manière générale, le milieu sportif est une thématique qui m’est chère dont j’avais traité dans mes trois courts-métrages réalisés après avoir été diplômé de la Fémis en 2005. Mon premier court, Adieu Molitor, mettait déjà en scène un ancien footballeur reconverti en homme à tout faire pour son club. Le foot est un terreau de fiction extraordinaire, à condition de l’aborder par ses marges et ses personnages périphériques qui tentent chacun à leur manière d’avoir une part du gâteau. Le film est anti-spectaculaire, à contre-courant de l’image qu’on a de ce milieu. De l’extérieur, le foot fait rêver, mais de l’intérieur c’est plus complexe et souvent douloureux...

Comment présenteriez-vous Franck, cet homme dont le rêve s’est brisé ?
Christophe Regin : Franck vit dans les coulisses du FC Nantes. C’est quelqu’un qui a réussi à se rendre indispensable au club sans pour autant en faire vraiment partie. Cette place à la marge, c’est sa fierté et sa force, mais aussi son drame, car elle l’empêche de faire le deuil de ses rêves de jeunesse - devenir footballeur professionnel - et de se projeter dans une vie d’adulte. Je voulais raconter un personnage tiraillé entre cet univers réputé pour ses dérives en tout genre et des valeurs comme la fidélité, le collectif, le travail, sur lesquelles il s’est construit. Des valeurs qu’on lui a inculquées lorsqu’il était apprenti footballeur et qu’il tente de transmettre aux jeunes du club avec plus ou moins de succès… Il se considère presque comme la conscience morale du club.
Moussa Mansaly : Ces petits boulots que Franck fait c’est pour se rattacher au rêve qu’il avait avec ce club.
Franck Gastambide : Comme un fantôme, il ne veut pas partir de cet endroit car la seule chose qui compte pour lui c’est ce club, ce stade, ces couleurs…

Ce genre de personnage existe t-il réellement ?
Moussa Mansaly : Beaucoup de gens gravitent autour des footballeurs et tentent de vivre le rêve, le succès par procuration. Ce sont parfois des gens qui peuvent avoir une mauvaise influence d’ailleurs comme on a pu le constater dans l’actualité dernièrement avec Mathieu Valbuena ou Serge Aurier.
Christophe Regin : Dans la réalité, les gens qui, comme Franck, vivent aux crochets des clubs et des joueurs sont nombreux. Il y a ceux qui abordent les joueurs aux alentours du centre d’entraînement ou dans les lieux qu’ils fréquentent pour leur proposer toutes sortes de services ou d’affaires. Mais surtout, les joueurs ont souvent un ami, membre de la famille ou ancien partenaire, qui vit avec eux pour leur tenir compagnie et s’occuper de leurs affaires courantes. Je trouve passionnant les liens qui peuvent se nouer dans cette cellule où celui qui a réussi peut rémunérer un proche pour juste être avec lui, lui rendre des services. Et où les deux parties y trouvent leur compte. C’est cette relation d’interdépendance que j’interroge de façon un peu détournée dans le rapport entre Franck et Yves, l’un des dirigeants du club. Même si son affection pour Franck est sincère, Yves le maintient à une place où il lui est utile, l’entretient et le conforte dans son rôle de gardien du temple, mais l’empêche aussi de se construire. Et Franck, même s’il aspire à mieux, se complaît dans cette situation confortable dans l’illusion que sa vie est là.

Pourquoi avez-vous choisi le club du FC Nantes pour planter le décor de votre premier film ?
Christophe Regin : Dès le départ, le FCN a été mon premier choix. Cela m’a paru évident. Je voulais un club avec de vraies valeurs, qui donnent vraiment leur chance aux jeunes. Les valeurs du foot que véhiculent le FCN m’intéressaient. Ce club incarne des choses fortes. Je voulais que le film se déroule dans une ville de province, avec un passé footballistique fort mais qui ne soit pas cumulé à une importante identité ouvrière.

Franck Gastambide et Moussa Mansaly, quelle image incarne ce club à vos yeux ?
Franck Gastambide : Déjà, j’ai adoré Nantes. C’est une super ville avec un club chargé d’histoire, un immense palmarès et un  grand stade vibrant. C’est un club mythique en France.
Moussa Mansaly : Je me souviens du FCN qui me faisait rêver quand j’étais jeune avec Suaudeau, le record d’invincibilité, Pedros, Ouedec, N’Doram. C’est une équipe emblématique. J’ai toujours trouvé ce club fort par rapport à son histoire, son standing. Moi qui ai joué pour le Stade Bordelais, j’ai d’ailleurs fait des matchs contre des équipes de jeunes de Nantes à La Jonelière donc c’était amusant d’y retourner des années plus tard.

Le choix de Franck Gastambide pour incarner le rôle principal s’est-il rapidement imposé à vous ?
Christophe Regin : L’idée de prendre Franck Gastambide pour interpréter le rôle principal m’est venue assez vite. Je l’avais repéré dans la mini-série Kaïra Shopping que je trouvais très drôle et qui montrait justement des personnages tenteant de faire leurs affaires à la marge. Lui avait quelque chose qui me plaisait. En écrivant le scénario, j’ai donc beaucoup pensé à lui secrètement, je l’imaginais dans la peau de ce personnage. Autour de moi beaucoup de gens ne l’identifiaient pas, alors qu’il est très connu auprès du grand public. Quand je l’ai rencontré, cela m’a conforté. J’aime sa façon de rouler un peu des mécaniques, tout en étant très touchant. Il peut être très élégant, tout en ayant conservé un côté un peu ado. En plus, il y avait des similitudes entre sa vie personnelle et celle du personnage. Je sentais qu’il pouvait porter ce film.

Franck Gastambide, avez-vous tout de suite accepté le rôle ?
Franck Gastambide : A chaque fois qu’un acteur de comédie s’essaie à un autre registre – le drame dans ce cas ci -, on se demande s’il aura le niveau, s’il sera capable de proposer autre chose. Moi-même je me suis posé la question de savoir si je serais capable de porter ce film sur mes épaules. Je ne savais pas si je pouvais être à la hauteur de ce que l’on me demandait. D’un autre côté, je voyais bien que le personnage de Franck n’est pas si éloigné de moi. Car avant que cela marche au cinéma,  moi aussi j’ai galéré et fait tout un tas de petits boulots pas toujours très gratifiants. Puis, c’est la première fois que l’on me proposait un rôle dramatique de cette ampleur donc je ne pouvais décemment pas passer à côté de cette opportunité que l’on m’offrait. Malgré mes petites craintes j’ai donc accepté. C’est un film juste, fort, sincère. C’est inédit de montrer les coulisses du monde du foot, l’envers du décor de la sorte. On découvre ce milieu, non pas à travers les stars, mais à travers les jeunes et ceux qui n’atteignent pas leur rêve. On voit l’échec et comment on s’en relève, le deuil d’un rêve brisé. A travers Franck, on donne à voir une trajectoire que pas mal de jeunes ont du connaître. On vit actuellement à une époque où tout le monde te dit qu’il faut croire en ses rêves, qu’il faut se bagarrer pour leur donner vie, mais il faut aussi savoir accepter d’être moins bon qu’un autre et de s’asseoir sur certains de ses rêves.

Et comment avez-vous pensé à Moussa Mansaly pour incarner cette gloire du foot en fin de course ?
Christophe Regin : J’avais découvert Moussa Mansaly dans un court métrage et il m’avait marqué. En faisant des recherches sur Internet, j’ai appris qu’il avait un passé de footballeur. Cela m’a évidemment aidé et inspiré. J’aimais son côté à cheval entre l’arrogance et le dilettantisme.

Moussa Mansaly, qu’est-ce qui vous a séduit dans ce personnage que vous interprétez ?
Moussa Mansaly : Au début, j’étais un peu frileux car je ne voulais pas jouer le rôle d’un cliché. Lorsque je me suis présenté au casting, connaissant bien le milieu du foot pour y avoir évolué, j’ai donc fait une proposition différente de ce que l’on souhaitait que je fasse. Je voulais présenter le personnage à ma manière, lui apporter de la profondeur. L’équipe m’a laissé le champ libre facilement et j’ai donc pu leur montrer ma vision des choses. Mon personnage a le rôle du connard que l’on aime bien, qu’on excuse. Les joueurs de foot sont des gens avec des parcours particuliers. Ils sont très vite extraits de leur famille, apprennent plus ou moins à grandir seul. Ils sont dans une bulle avec leurs propres codes qui peuvent être perçus comme de l’arrogance. Mais ce sont des êtres humains qui réagissent avec leur ressenti.

Que pouvez-vous dire sur le personnage incarné par Alice Isaaz ?
Christophe Regin : Cette figure de femme qui gravite autour des footballeurs, je voulais en faire un personnage fort. C’est elle qui fait prendre conscience à Franck de son statut. Elle n’est pas une victime, elle a la vie qu’elle voulait, elle avance. Même si elle est plus jeune, elle a les pieds sur terre et joue un rôle déterminant dans la prise de conscience de Franck. Elle va provoquer un déclic chez lui.
Franck Gastambide : Le personnage de Salomé le renvoie une fois de plus à son échec. Il craque pour cette fille mais elle ne s’intéresse qu’aux footballeurs, chose qu’il n’est pas parvenu à devenir.

Si le film évoque l’univers du football il n’en demeure pas moins accessible à tout le monde, était-ce un point important pour vous ?
Christophe Regin : A travers la trajectoire du personnage de Franck, je voulais mettre en avant les sentiments, l’humain plutôt que le foot. C’était bien sûr important pour moi que même les gens qui n’aiment pas le foot ou qui n’y connaissent rien s’y retrouvent malgré tout en voyant le film. En fait, cette histoire aurait pu se situer dans d’autres milieux comme celui de la musique. Au-delà du foot, il existe beaucoup de gens qui ratent le coche et s’inventent un système, se contentant des miettes d’une certaine façon.

Aviez-vous des références cinématographiques précises en tête ?
Christophe Regin : J’ai pensé à des films dans lesquels les personnages ont une place en marge du monde qui les entour comme Mélodie pour un tueur de James Toback, Macadam Cowboy de John Schlesinger ou Goodbye South Goodbye de Hou Hsiao Hsien. Les dilemmes moraux et amoureux que rencontrent les personnages dans les films de James Gray, Un cœur en hiver de Claude Sautet, ou encore Police de Maurice Pialat m’ont aussi beaucoup inspiré. J’aimais bien l’idée de mêler des influences diverses, de mélanger des genres, d’emprunter par exemple aux codes de la comédie romantique en les teintant de la mélancolie de certains films noirs.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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