People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 01/02/2018

Rencontre avec Jean-François Porcher

« Le cinéma n’était pas une vocation »

Bientôt dix ans que Jean-François Porcher tient la barre du Cinéville à Saint-Sébastien-sur-Loire. Après avoir traversé des mers parfois houleuses, le capitaine de navire a enfin jeté l'ancre et accepté de rembobiner un riche parcours professionnel de plus de trois décennies. Entre coups de vent et accalmies.

C’est à 21 ans, son uniforme de l’armée fraîchement remisé au placard, que Jean-François Porcher intègre le petit milieu du cinéma. Par le fruit du hasard. Son devoir militaire accompli, un bac G en poche, le jeune homme ne sait pas trop quelle direction donner à sa vie. Mais surtout, il ne se voit pas poursuivre sur les bancs d’une école. Les études ne le bottent que moyennement. Le destin vient alors frapper à sa porte sous les traits de son beau frère. Celui-ci est contrôleur au cinéma Gaumont de Nantes et l’informe qu’un poste d’ouvreur est à pourvoir. « J’aurais préféré être contrôleur moi aussi car pour un garçon, vendre des bonbons à l’entracte c’était pas forcément évident. C’était un milieu très féminin » se remémore en souriant Jean-François Porcher. Peu importe. Il a besoin d’un taf. Il est donc engagé pour ce contrat d’un mois. Sans idée derrière la tête. « Le cinéma ce n’était pas une vocation et comme beaucoup de gens, je percevais ce monde comme étant assez inaccessible ». Nous sommes en 1986. Il ne quittera l’établissement qu’en 1991, après avoir gravi quelques échelons, devenant agent d’accueil puis responsable de hall.

L’importance d’être mobile

La suite de l’histoire s’écrit à Dijon où l’autodidacte est promu assistant directeur. « Une belle évolution. D’où je venais, ce poste était déjà un graal » estime Jean-François Porcher qui en profite pour rappeler l’importance d’être mobile dans ce métier si l’on veut se faire une place. Alors que l’été 91 pointe le bout de son nez, les choses se précipitent tant sur le plan professionnel que personnel. A peine le temps d’inaugurer le flambant neuf Gaumont dijonnais le 8 juin qu’il est de retour à Nantes le 15 juin pour se marier. En terre bourguignonne, le Ligérien passe cinq années dont il ne garde que d’excellents souvenirs. « Ca a été une très belle période. C’est là bas que j’ai eu deux de mes trois enfants. C’est une ville agréable que nous avons beaucoup appréciée et dans laquelle nous nous sommes faits de nombreux amis ».

Puis, sa carrière le mène de nouveau sur les bords de Loire, à Saint-Etienne, où le poste de directeur du Gaumont local se libère. Faute de moyen, le profil recherché est celui d’une personne polyvalente, capable de s’occuper notamment de la cabine de projection. Cela tombe bien, Jean-François Porcher avait eu le nez fin et répond aux caractéristiques. « Lorsque j’étais à Nantes, j’avais passé mon CAP de projectionniste. De quoi rajouter des cordes à mon arc et pouvoir assurer quelques remplacements si besoin ». Dans le Forez, il apprend donc sur le tard le métier de directeur multi-tâches dans ce petit cinéma de six salles. « Avec les équipes, on a sincèrement fait du bon boulot durant cette période. On m’a même confié les manettes d’un projet visant à créer un multiplexe » se souvient notre homme.

De retour à Nantes

Début 1998, la France piaffe d’impatience que sa coupe du monde démarre. Dans le même temps, cet amateur de ballon rond reçoit un coup de fil. Il se dit dans les tuyaux que deux postes de directeur s’apprêtent à se libérer : l’un à Calais, l’autre dans la cité des ducs. « Je n’étais pas dupe. Je connaissais les méthodes de la maison, sa philosophie, et je savais que je n’avais aucune chance de revenir dans ma ville ». Contre toute attente, c’est bel et bien à Nantes qu’on lui propose d’être parachuté. « Cette décision a changé ma vie. J’ai sauté au plafond en apprenant la nouvelle. Alors que nous venions d’accueillir le petit dernier, j’allais rentrer chez moi en famille. Cela me semblait surréaliste ».

Clin d’œil de l’histoire, l’homme qu’il remplace à la direction n’est autre que celui qui l’avait embauché comme ouvreur douze ans plus tôt. Toutefois, on avait beau l’avoir prévenu de l’ampleur du chantier, en raison de bisbilles avec l’équipe précédente, les premiers pas de Jean-François Porcher sont laborieux. Au bout de deux ou trois semaines, l’idée de tout abandonner lui effleure l’esprit. « Je suis arrivé, j’étais perdu. C’était trop gros pour moi. Trop dur. J’avais l’impression de ne pas être à la hauteur. Mais malgré mes craintes, je me suis accroché. Je ne pouvais pas laisser tomber. C’était ma ville. J’ai heureusement pu compter sur des gens de qualité qui m’ont porté. Ensemble, nous avons remonté la pente face à la concurrence. Ca a été une expérience formidable et exaltante ».

Jusqu’en 2001, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais, cette année-là, Pathé rachète Gaumont et Jean-François Porcher ne donne pas cher de sa peau. La fusion implique aux communes possédant les deux « marques » sur son territoire de rétrocéder un site. C’est le cas de Nantes. Pourtant, c’est la directrice de Pathé qui fait ses valises pour Paris. « Je suis alors devenu le premier directeur Gaumont à devoir gérer un Pathé en même temps. C’était un poste génial ». Pendant 4 ans, il assure comme un chef. Puis, une fois la fusion bien digérée, on se rappelle à son bon souvenir. L’entreprise à la manie d’organiser régulièrement un immense jeu de chaises musicales national avec ses directeurs. Jean-François Porcher n’y échappera pas.

Le bras de fer

« On m’a proposé Toulouse que j’ai refusé. Certes, il s’agissait du plus gros Gaumont de province en termes d’entrées, mais à mes yeux ce n’était pas mieux que mes deux multiplexes à Nantes. Sans compter que je n’avais pas du tout envie de quitter de nouveau ma ville où je venais de faire construire ma maison et où mes enfants étaient inscrits au collège » raconte t-il. La réponse est donc ferme. Une attitude qui étonne grandement la direction générale. « A ce moment là, pour la première fois, c’est un peu parti en cacahuète » admet notre homme.

Afin de calmer les esprits, Jean-François Porcher tente de couper la poire en deux : si l’on souhaite vraiment son départ, un poste en région parisienne pourrait faire l’affaire. La proximité lui permettant de ne pas quitter sa vie nantaise. Quinze jours plus tard, son offre est acceptée. On lui confie le Pathé de Conflans-Sainte-Honorine. « Un beau cinéma qui marchait tout seul. J’ai dealé avec la RH et ils m’ont filé une double indemnité de transports ainsi qu’un appartement à Saint-Germain-en-Laye. Ils ont mis les petits plats dans les grands car ils voulaient que je quitte Nantes fissa ».

Deux ans passent et, en 2007, la direction revient à la charge. Hormis Rennes, Angers et Nantes - « afin que je déménage une bonne fois pour toute » -, sa nouvelle destination sera la leur. La France s’offre à lui. Mais, Jean-François Porcher n’en a cure et décide de leur tenir tête. Un bras de fer s’engage. « Je me suis retrouvé sans rémunération, ni logement de fonction. Financièrement, c’était intenable. En haut, ils se sont dit que je plierais au bout de deux mois. Sauf qu’avec ma femme nous avions acheté un petit appart que nous avions presque fini de payer. A contre cœur, nous l’avons vendu et cela nous a permis de survivre. Ca a été dur mais j’ai tenu bon et j’ai continué à faire mes allers retours entre Nantes et Conflans chaque semaine. Pour mon équipe, qui compatissait, je me devais d’assurer le travail. Le minimum du moins ». La direction n’en croit pas ses yeux. Tenace, il finit toutefois par craquer et décide de monter une société de service à la personne. Afin de se reconvertir et pouvoir négocier son départ dans les meilleures conditions. En juillet 2008, grâce à l’aide d’un avocat, un accord est trouvé avec Pathé Gaumont, sonnant le glas de vingt ans de vie commune.

« S’inscrire sur le long terme »

Alors que l’homme semble bien décidé à tourner la page du cinéma, celui-ci le rattrape par le col. Cinéville qui avait eu vent de son départ de Pathé Gaumont lui propose de prendre la tête de son nouveau multiplexe (inauguré en 2007) à Saint-Sebastien-sur-Loire. D'abord hésitant, il finit par se laisser convaincre et au mitan du mois de septembre, il rempile pour une nouvelle aventure.

A l’époque, le site de 18 salles - le dernier né dans l’agglomération - n’attire pas les foules. Il faut dire qu’autour, il n’y a presque rien. L’actuelle zone d’activités n’en est qu’à ses balbutiements. De plus, l’expérience a tourné court avec le premier directeur. En prenant les rênes, la mission de Jean-François Porcher est donc de bâtir quelque chose à partir de pas grand chose. Challenge accepted ! « A mon arrivée, mon désir est de m’inscrire sur le long terme. J’ai retrouvé une entreprise qui me rappelait les premières années Gaumont, avec de vraies valeurs humaines. J’ai également découvert à quel point l’absence d’actionnaires change la donne. J’avais les mains libres. On m’a immédiatement fait confiance et donné les moyens de mettre en place ce que je souhaitais. Au fil du temps, nous nous sommes employés à structurer la société ».

Peu à peu, le cinéma reprend des couleurs et renfloue ses caisses. De 250 000 entrées la première année d’exploitation, la jauge atteint les 620 000 en 2017. Intouchables reste à ce jour le plus gros succès de l’établissement. « Vu l’état de départ, il n’était pas difficile de faire mieux. En plus, nous pouvions nous appuyer sur un bel outil, le Cinéville disposant des meilleures salles de l’agglo. Il suffisait juste de le faire savoir aux gens. Sans compter que nous cherchons en permanence à améliorer la qualité de notre offre. Nous avons ainsi été les premiers à intégrer le numérique à Nantes ». Aujourd’hui, le cinéma est viable et participe à faire vivre le 7e art dans le sud Loire. Il a d’ailleurs accueilli sont 5 millionième spectateur début 2017.

Sur un nuage

Quant au patron, cela fait une décennie qu'il n'est pas redescendu de son petit nuage. « Ici, je suis dans un monde merveilleux. A 52 ans, je vis un rêve éveillé. C’est agréable de récolter ce que nous avons semé avec la vingtaine de salariés qui m’accompagne » se réjouit Jean-François Porcher. De quoi profiter, l’esprit léger, de ses enfants et petits enfants, jardiner et organiser de bonnes bouffes. Quelques uns des passe-temps favoris de ce bon-vivant, également friand de thriller et de polar. « Côté ciné, j’avoue avoir un penchant pour Michaël Cimino et Alan Parker. Angel Heart est sans doute mon film préféré » glisse en guise de conclusion l’intéressé.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet