People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 25/09/2017

Rencontre avec Laurent Cantet

Avec son 10e long métrage, L’Atelier, le réalisateur Laurent Cantet poursuit son exploration de notre société. Une fois de plus à travers les yeux d’une jeunesse défavorisée.

Quel a été le point de départ de ce nouveaux film ?
Le point de départ remonte à il y a 17 ans. Avec Robin Campillo, après avoir vu un reportage sur le sujet, nous avions commencé à écrire sur un atelier d’écriture à La Ciotat organisé peu après la fermeture des chantiers navals. Un événement qui avait fortement marqué la ville. La mairie et la Mission locale avaient proposé à des jeunes de participer à un stage estival afin de leur permettre d’écrire un roman dont la seule contrainte était de se situer à La Ciotat, afin d’évoquer la mémoire du port, l’histoire ouvrière de la commune... Puis, il y a 3 ans, juste après l’attentat de Charlie Hebdo, j’ai eu envie de décrire ce nouveau monde dans lequel nous étions en train de plonger à travers de jeunes gens. Je voulais découvrir comment la jeunesse pouvait y vivre. C’est là que l’idée de l’atelier a resurgit alors que nous l’avions abandonné faute d’avoir trouvé le côté romanesque nécessaire. A travers ces deux éléments, le film témoigne de la mutation radicale d’une société. Les jeunes de l’atelier refusent d’être assignés à une histoire qui ne peut plus être la leur. Ils sont maintenant confrontés à des problèmes complètement différents : trouver leur place dans un monde qui ne les prend pas en compte, avoir l’impression que leur vie leur échappe. Il s’agit pour eux de faire face à une société violente, déchirée par des enjeux inquiétants : précarité, terrorisme, montée de l’extrême droite…

Qu’est ce qui vous intéressait dans le fait de mettre en scène un atelier d’écriture ?
Ce n’est pas tant le processus d’écriture qui m’intéressait dans l’idée de l’atelier mais plus l’effort pour penser ensemble et se mettre d’accord. Par ailleurs, je m’intéresse beaucoup à la façon dont la formation s’apparente à une sorte de formatage, d’aiguillage… Cela est sans doute nécessaire et efficace mais il faut être conscient de cela. Le formateur a souvent une idée préconçue de ce qu’il veut obtenir de ses élèves…

Comment avez-vous procédé pour composer votre groupe de jeunes ?
Ce sont tous de parfaits débutants. La directrice de casting a tout simplement distribué des flyers devant les lycées, les clubs de sport ou de théâtre, les bars… de La Ciotat avec un numéro de téléphone. Ceux qui ont appelé ont passé un essai et il a ensuite fallu trouver les bonnes personnes, parmi quelques centaines de jeunes, afin que cela colle à l’écran.

Est-il plus difficile de diriger des comédiens non professionnels ?
Diriger des novices, cela se fait assez facilement et naturellement à partir du moment où on apprend à se connaître et à se comprendre. En travaillant avec des non comédiens, j’aime le travail en amont, la discussion qui me permet de réajuster le scénario, les dialogues avec des personnes directement liées au milieu dont je parle. Ce travail m’enrichit, nourrit l’histoire et m’aide à visualiser mon film.

Entre les murs, Foxfire, Confessions d’un gang de filles, L’Atelier, la jeunesse n’a pas fini de vous inspirer…
Ce qui me plait c’est que la jeunesse est la période où l’on se fabrique, où l’on essaie, où l’on échoue… C’est une période passionnante de la vie durant laquelle on se cherche, on tente de se construire, on commence à faire face aux réalités des choses... Puis, travailler avec des jeunes est très porteur car il y a de l’énergie, de la vitalité. C’est agréable. Et j’ai l’impression d’avoir plein de choses à apprendre, à comprendre d’eux par rapport à ma propre vision du monde.

Comment avez-vous pensé à Marine Foïs pour incarner votre romancière ?
Le choix de Marina Foïs s’est effectué en deux temps. Dans le véritable atelier qui nous a inspiré, la romancière était anglaise et nous avions donc d’abord eu l’idée de prendre une actrice étrangère. Ca m’intéressait car cela permettait de creuser le fossé davantage encore entre cette femme et ses élèves, entre deux mondes qui se regardent. Mais cela posait des problèmes de langue et de maniement de cette dernière. Or le dialogue, le verbe est primordial dans le film et il fallait que tout le monde soit à l’aise. Nous avons donc finalement décidé de prendre une comédienne française et très vite Marina Foïs s’est imposée. C’est une très bonne comédienne de cinéma comme de théâtre capable de toucher à des registres très différents. De plus, sa présence très forte, sa verve lui permettait de ne pas se laisser engloutir par le groupe, ce qui pouvait être un vrai risque. Enfin, son enthousiasme à la lecture du projet m’a confirmé dans mon choix. Sur le plateau, elle était d’une curiosité semblable à son personnage dans le film. Parmi les rôles de premier plan, elle est la seule actrice professionnelle.

Le parallélisme entre son statut de comédienne connue et son rôle de romancière célèbre était-il voulu ?
En effet, c’est un parallèle auquel nous avions pensé dès le départ et qui nous semblait intéressant pour la mise en scène afin de rendre les choses encore plus crédibles. Sur le plateau, il y avait à la fois une attirance et une certaine distance de la part des jeunes vis à vis d’elle. Il l’admirait comme une actrice qu’ils apprécient alors que son statut de personnage public créait un décalage. Une ambivalence semblable à celle du film. Après, sur un tournage l’intimité arrive très vite car les énergies convergent vers le même point et on a rapidement l’impression de se connaître depuis longtemps. Du coup, cette proximité a fini par quelque peu effacer cette distance qui pouvait exister entre Marina Foïs et ces jeunes novices.

Les scènes d’échanges lors de l’atelier étaient-elles très écrites ou avez-vous laissé libre court à l’improvisation des jeunes comédiens ?
Tout était très écrits mais au cours des répétitions, les jeunes se réappropriaient les scènes avec leurs mots, leurs enchaînements. Du coup, en arrivant sur le tournage, il n’y avait pas de surprise. Les choses étaient rodées.

Diriez-vous que votre cinéma a quelque chose d’engagé ?
Je ne suis pas un militant au sens propre du terme mais je me sens concerné par ce qui m’entoure et les enjeux sociaux. J’aime porter un regard assez précis sur le monde. Le cinéma peut être un baromètre de notre société. C’est pour cela que j’évoque notamment l’extrême droite qui est une composante de notre société.

Avez-vous des références cinématographiques en particulier ?
J’aime beaucoup de nombreux films et réalisateurs comme Pasolini, Pialat, Godard, Hitchcock… C’est très varié. Je n’ai pas forcément de maîtres à penser mais je ne suis que le produit de ce que j’ai aimé et vu jusque là.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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Sortie : 11/10/2017

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