People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 14/03/2017

Rencontre avec Nicolas Silhol

Avec Corporate, son premier long métrage, le jeune cinéaste Nicolas Silhol s’est plongé dans les dérives du monde du travail et de l’entreprise. 

Comment l’idée d’un tel film vous est venue ?
J’ai toujours été sensible aux questions de management et des rapports humains en entreprise. Ce n’est pas vraiment un hasard puisque mon père est prof de management en école de commerce et consultant en ressources humaines. J’ai donc beaucoup discuté de ces enjeux avec lui. D’autre part, mon premier court-métrage racontait déjà une séance de jeu de rôles dans une boîte de pompes funèbres. C’était une comédie qui décrivait l’entreprise comme un théâtre où chacun doit mettre de côté ce qu’il ressent en tant qu’individu. Puis, bien sûr, comme beaucoup de monde, j’ai été très touché par la vague de suicides qu’il y a eu, il y a quelques années, à France Télécom. J’ai alors découvert un système de management par la terreur et j’ai été très choqué par le PDG qui avait déclaré qu’il fallait mettre un terme à cette « mode du suicide ». Il y avait un déni d’une violence effarante, d’un cynisme… Cette question de la banalisation du mal dans les entreprises, de la souffrance au travail, m’interpelle vraiment.

Y a t-il une part autobiographique dans tout ça ?
Il n’y a pas de vécu personnel dans ce film mais bien celui issu des nombreux témoignages que j’ai récoltés à travers mes rencontres. J’espère donc que le propos est juste car le souci de véracité m’importe beaucoup.

Qui donc avez-vous rencontré pour les besoins de ce film ?
Afin de m’immerger au mieux dans cet univers, j’ai rencontré des RH, des managers, des salariés et surtout des inspecteurs du travail car mon tout premier point de départ concernait plutôt le côté juridique. Mais au fil de mes entrevues, j’ai fait la connaissance d’une manageuse RH qui m’a raconté comment elle en a eu marre de ce système suffocant, voire asphyxiant, et glacial dans lequel elle baignait. Elle m’a parlé de la pression qu’elle mettait sur les employés afin de les pousser à la démission… « Ca ne passera plus par moi » m’a t-elle confié. J’ai trouvé ça très fort. C’était l’affirmation de sa rupture avec le système. Cette rencontre m’a incité à m’intéresser à cette thématique. Je me suis rendu compte que, plutôt que de parler des victimes, je voulais raconter les « bourreaux ». Ce n’est pas un film sur le suicide en entreprise, ni sur la souffrance au bureau, mais davantage sur la place qu’occupe le travail dans nos vies et comment on se positionne dans un système quitte à renier toute humanité. Ce long métrage engagé se veut une interrogation sur la place du travail dans la vie. Alors que le travail prend beaucoup de place dans nos existences, il n’y a pas tant de films sur ce sujet.

Vous avez donc changé d’idée en cours de route ?
Oui car au commencement, j’avais davantage l’idée d’un polar social vu à travers les yeux d’une inspectrice du travail. Encore une fois, c’était plus l’aspect juridique que je voulais explorer. Mais au final, j’ai trouvé plus intéressant d’adopter le point de vue de la manageuse. Cela permet aussi de poser la question de la responsabilité lorsque l’on pousse quelqu’un à bout. Comment prouve t-on que quelqu’un est responsable d’un harcèlement au travail ? Il s’agit d’une question juridique mais aussi éthique.

Ce film est également celui d’une sorte de rédemption...
En effet. Je ne voulais pas raconter l’histoire d’une femme qui est une salope jusqu’au bout. Je voulais un film plutôt positif mais avec un vrai cheminement, montrer un côté humain malgré tout. Pas question de réaliser un film binaire, tout noir, tout blanc. Pour moi, cette manageuse est une héroïne parce qu’enn fait, c’est aussi l’histoire d’un personnage qui se découvre un peu. Le film peut être assimilé à l’autopsie de cette manageuse que l’on suit.

D’où la raison pour laquelle la famille est également présente en filigrane…
Exactement. Je voulais surtout parler du travail mais je voulais aussi un contre point humain d’où la présence de la famille d’Emilie à l’occasion de quelques petites scènes. Cela permet de montrer son côté humain lorsqu’elle tombe la veste, mais aussi d’illustrer à quel point le travail peut contaminer la sphère privée. 

Comment avez-vous pensé à Céline Sallette pour incarner Emilie Tesson-Hansen, cette manageuse ?
Céline Sallette est une comédienne que j’aime beaucoup et que j’ai trouvé super dans tous ses films. J’avais vraiment envie de travailler avec elle. Donc dès le départ, elle s’est imposée à moi. Ce qui est intéressant c’est qu’il s’agit d’un rôle un peu à contre emploi pour elle car d’habitude, elle incarne plutôt des personnages très expansifs. D’ailleurs, elle est elle-même comme ça dans le vie. Alors qu’ici, elle est dans la retenue, elle refoule ses émotions… C’est génial de pouvoir bosser avec une actrice qui a déjà eu de grands rôles mais avec qui on peut travailler sur des choses nouvelles.

Et quid de Lambert Wilson pour le rôle de son supérieur hiérarchique ?
Concernant Lambert Wilson, il me fallait un acteur avec une certaine stature, une aura. Ce qui m’intéressait chez lui, c’est qu’il dégage à la fois quelque chose de très sophistiqué, de raffiné, mais aussi quelque chose de très sincère et humain. Puis, s’agissant d’un film très dialogué, sa voix me plaisait.

Vos deux personnages principaux sont des femmes, ce qui n’est pas fréquent dans ce genre de film…
Cela me tenait à cœur d’avoir des femmes fortes comme personnages principaux. Je pense que les rapports hommes/femmes au travail sont encore compliqués. Aujourd’hui, pour réussir en tant que femme, sans faire de généralité, il faut avoir un côté viril, avoir des couilles dans un sens… Cela m’intéressait de montrer cet aspect là. Et, je pense que les femmes ont une plus grande capacité à se remettre en question que les hommes. 

Quelles sont vos influences ?
J’ai été pas mal influencé par les polars sociaux américains des années 70. Ceux de Sidney Lumet notamment et particulièrement Le Prince de New York. Il y a également le cinéma de Michael Mann dont je citerai en particulier The Insider

Le réalisme au cinéma vous tient-il particulièrement à cœur ?
Le cinéma ancré dans le réel, tout en y injectant le souffle de la fiction, me passionne donc je me vois plutôt rester dans cette veine là. D’autant que les sujets à exploiter sont innombrables. J’aime ce cinéma qui interpelle les gens.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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Sortie : 05/04/2017

Emilie Tesson-Hansen est une jeune et brillante responsable des Ressources Humaines, une « killeuse ». Suite à un drame dans son entreprise, une enquête est ouverte.