People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 10/09/2019

Rencontre avec Olivier Meys

Habitué des documentaires et reportages sur l’Empire du milieu et ses myriades de réalités, le réalisateur a décidé pour la première fois de passer par le prisme de la fiction pour raconter une histoire parfaitement authentique. Un récit passionnant sur une facette, pas forcément très connue, de la Chine contemporaine. Entretien.

Comment l’idée de réaliser ce film a t-elle germé ?
En 2008, alors que j’étais à Paris pour présenter un de mes documentaires au Festival du Réel, j’ai profité d’un moment entre deux séances pour me balader. C’est alors que je suis tombé sur un petit groupe de femmes qui faisaient les cent pas. Alors que j’ai vécu en Chine pendant une quinzaine d’années, à leur physique et à leur accent, j’ai vite compris qu’il s’agissait de Chinoises du Nord-Est. Ce n’était clairement pas des Chinoises de Paris, qui proviennent essentiellement du Sud. De toute évidence, ce n’était pas non plus des touristes. J’ai donc cherché à en savoir plus sur ces femmes. Je me suis renseigné. J’ai rencontré des riverains qui les côtoient au quotidien, des ONG qui travaillent avec elles - comme Médecins du Monde, des sociologues. Puis, petit à petit, j’ai également rencontré certaines de ces femmes, contraintes de se prostituer, ici, loin de chez elles. Je me suis aussi rendu en Chine, où je vivais à l’époque, afin de voir d’où elles venaient… Raconter leur histoire m’a très vite paru intéressant.

Après enquête, qu’avez-vous découvert sur ces femmes chinoises ?
Ces femmes viennent très souvent du Dongbei, dans le Nord-Est de la Chine. Cette région a longtemps été privilégiée grâce à une industrie lourde qui attirait beaucoup de gens d’autres provinces pour y travailler. Puis, avec les changements socio-économiques qu’a connu la Chine dans les années 1990, le phénomène d’émigration vers l’Europe a commencé. Les familles chinoises installées à Paris depuis longtemps étaient prêtes à très bien payer les ressortissantes du Dongbei - dont le Mandarin est considéré comme le meilleur du pays - pour l’apprendre à leurs enfants. Beaucoup de femmes se sont donc faites embaucher comme nounou pour gagner de l’argent et repartir ensuite en Chine. Ce n’était pas la misère qui les poussaient à partir mais bien l’espoir de gagner davantage d’argent pour l’envoyer à la famille restée au pays et ainsi gravir l’échelle sociale. C’était une opportunité à saisir. A un moment, les salaires proposés se sont mis à baisser, poussant certaines de ces femmes à se prostituer. Mais, il ne s’agit pas de prostitution contrainte. Elle est assumée. A l’image de l’héroïne du film, elles conservent leur libre arbitre. Et expriment le sens du sacrifice des femmes chinoises capables de mettre le présent entre parenthèses pour assurer l’avenir. Comme le dit un proverbe de là-bas : « C’est après les hivers les plus froids que poussent les plus belles fleurs ». Chaque mois, elles peuvent envoyer jusqu’à 2000 euros à leur famille. Une somme considérable. D’autant plus en Chine.

Pourquoi avez-vous choisi de passer, pour la première fois, par la fiction ?
Si j’avais décidé de faire un documentaire, il allait forcément être axé sur la parole, l’information et les visages auraient du être floutés vu la dimension taboue du sujet. La fiction me permettait d’aller au coeur humain des choses. D’être au plus près de la vérité et de sa complexité. Je voulais vraiment proposer un film grand public, accessible au plus grand nombre. Emmener le spectateur dans une histoire, tout en rendant hommage au sens du sacrifice de ces femmes. Ce que je peux dire, c’est que je ne voulais pas d’un film sans espoir car ce n’est pas dans ma nature. Mais je ne voulais pas non plus d’une happy end. Je voulais quelque chose de subtil. En fait, docus ou fiction, tous mes projets sont faits pour rendre compte des changements en Chine par la petite porte, celle de l’humain. Puis, ce qui me plait également, c’est qu’en partant d’une singularité chinoise, j’aborde des thèmes universels.

Cela a t-il été facile de passer d’un format que vous maitrisez à un autre qui vous était inconnu ?
Même si mes documentaires ont tendance à tirer vers le cinéma, j’ai eu des aides pour écrire le scénario. J’ai ainsi travaillé avec une scénariste belge qui m’a aidé à structurer le récit. Une scénariste chinoise m’a également épaulé pour les dialogues afin que ceux-ci sonnent authentiques. Car pour moi, il est essentiel que l’on sente le réel à travers un film. La direction d’acteurs me faisait un peu plus peur, mais là aussi j’ai fonctionné au feeling et tout s’est bien déroulé.

Comment avez-vous procédé pour confectionner votre casting ?
Même si elle n’avait jusque là interprété que des seconds rôles, Xi Qi qui incarne Lina est une comédienne reconnue déjà. Elle a notamment joué dans plusieurs films d’auteur, dont Mistery de Lou Ye qui a été présenté à Cannes. L’acteur qui joue son mari et l’actrice incarnant son amie qui la rejoint à Paris sont également des comédiens confirmés. Pour les autres, j’ai fonctionné à l’instinct lors d’un long casting. J’ai suivi mon intuition en choisissant des gens avec très peu d’expérience dans le cinéma, voire pas du tout. Je me suis fait confiance.

Eu égard à son sujet tabou, le film sortira t-il en Chine ?
Le film ne sortira pas au cinéma en Chine car nous n’avons pas obtenu le visa de censure. Pas tellement à cause du sujet de la prostitution, qui à l’échelle du pays n’est finalement qu’un épiphénomène, mais surtout pour cette idée qu’un avenir meilleur en Chine passe par un départ pour l’étranger. D’ailleurs, pour cette raison, nous n’avons pas non plus demandé d’autorisation pour tourner sur place. Toutefois, je sais qu’à l’occasion de sa sortie en Belgique, il a été piraté et s’est retrouvé sur des plateformes de streaming. Selon les statistiques, il a ainsi été visionné par des millions de personnes en Chine. Et 80 % des commentaires laissés sur les forums locaux dédiés au cinéma sont positifs. Par ailleurs, le film a été présenté dans de nombreux festivals. J’ai ainsi pu rencontrer des spectateurs chinois qui m’ont dit qu’ils étaient touchés par le regard que je pouvais porter sur les femmes chinoises. Celui d’un Européen, mais juste selon eux.

Quelles sont vos références cinématographiques ?
Elles sont multiples et variées. Mais en tant que Belge et à mon âge, je citerai forcément les frères Dardenne pour leur cinéma réaliste. J’ai d’ailleurs travaillé avec Benoît Dervaux, leur cadreur pour Les fleurs amères. En plus d’être un ami, il a cette capacité à toujours trouver la juste distance entre la caméra et les personnages qu’il filme. Une distance juste et humaine, dans le respect et le partage. 

Avez-vous de nouveaux projets sur le feu ?
J’ai adoré la fiction. Le docu est une pratique très solitaire, alors que le cinéma est un travail d’équipe. Il y a une émulation, du partage. Du coup, le prochain projet que je suis en train d’écrire sera à nouveau de la fiction. Mais il n’aura rien de chinois. Après 18 ans de travaux sur le sujet, j’avais envie de changer un peu et je ne veux pas être catalogué. Il s’agira ainsi de l’histoire d’amitié entre deux adolescentes dans un centre d’accueil pour réfugiés, dans l’attente d’obtenir l’asile. L’objectif ne sera pas d’aborder directement le problème de l’immigration, mais de « profiter » d’un contexte pour développer mon récit. 

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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