People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 21/11/2016

Rencontre avec Stéphane Brizé

Une vie, le nouveau film de Stéphane Brizé, adapté du roman éponyme de Guy de Maupassant, dévoile le destin tragique d’une femme de la petite bourgeoisie de province au XIXe siècle.

Pourquoi avez-vous eu l’envie d’adapter cette œuvre de Maupassant ?
Lorsque j’ai lu le bouquin il y a 20 ans, j’ai ressenti un rapport intime au personnage de Jeanne. Comme un sentiment de fraternité de par son regard candide sur le monde puis la découverte de sa brutalité. Je me reconnaissais, d’une certaine manière, en elle. Tout de suite, je me suis dit qu’il faudrait qu’un jour, si je le pouvais, j’en fasse un film. Mais je voulais également avoir suffisamment de bagages pour me sentir capable de le faire. J’ai donc souvent repoussé le moment.

Finalement, celui-ci sort juste après un drame social très contemporain à mille lieues de l’univers d’Une vie
En fait, il faut savoir que j’ai écrit Une vie avant de faire La Loi du marché même si ce dernier est sorti avant. S’il est vrai que le contexte est différent, je pense que ces deux films sont en lien car ils parlent finalement, chacun à leur façon, de la fin des illusions. Ce n’est donc sans doute pas anodin que je sois parvenu à faire Une vie à ce moment de ma carrière.

Maupassant a déjà fait l’objet de nombreuses adaptations, cela n’apporte t-il pas une pression supplémentaire ?
Maupassant est un auteur qui semble très facilement adaptable et c’est un peu le drame car beaucoup d’adaptations, notamment à la télé, ont été faites et pas forcément bien. Souvent, il faut bien avouer que cela sonne un peu le toc. Ce que les gens oublient souvent c’est que Maupassant, c’est bien plus que de simples histoires. Il y a du fond, des choses entre les lignes.

A quel point êtes-vous resté fidèle au récit de base ?
J’ai apporté quelques touches à moi mais sans dénaturer l’idée générale du roman. Après, avec un film, j’ai 2 heures pour raconter un récit qui s’étale sur des centaines de pages avec de nombreux détails. D’autant que là, il s’agit de retranscrire une histoire qui s’étend sur de nombreuses années. Donc sans négliger d’éléments importants, j’ai notamment fait appel à l’ellipse qui est un procédé cinématographique qui permet d’éluder certains passages sans trahir l’ensemble. Au final, on parvient à accéder à des émotions communes entre le cinéma et la littérature mais avec des techniques différentes.

Pourquoi avez-vous opté pour le format en 4/3 ?
Si ce choix s’est fait avant tout par intuition, le format en 4/3 est une décision importante dans le film car il s’agit de la fenêtre par laquelle on va regarder l’histoire. En fait, cela traduit l’idée d’emprisonnement de Jeanne qui est enfermée dans une sorte d’idéalisme d’où nait la tragédie. Du beau naît l’aspect tragique et je trouve cette dualité intéressante. Ce format fait parti de l’émotion et cela ajoute du réalisme.

Comment avez-vous pensé à Judith Chemla pour incarner Jeanne ?
J’avais une non connaissance totale de cette comédienne avant le casting mais lorsque l’on s’est rencontré, il s’est vraiment passé quelque chose. Judith Chemla a une dimension incroyable. Avec elle, je me suis retrouvé face à quelqu’un de saisissant. Elle a une capacité à révéler quelque chose du personnage, c’est merveilleux. Elle possède une grande technique et est très disponible. C’est une très grande actrice qui envoie du bois. Elle est très émouvante. Aujourd’hui, je pourrais vous parler d’elle pendant des heures.

Comment avez-vous constitué le reste du casting ?
Pour le reste du casting, j’ai composé en étoile en partant de Judith Chemla. Il fallait que la vérité de Judith s’accorde aux vérités des autres comédiens. Dans ma façon de faire les choses, je ne pars pas de leur capacité à fabriquer mais de leur capacité à être.

La nature est plutôt très présente dans votre film…
Une vie, c’est avant tout l’histoire d’une femme qui va s’ennuyer très très fort, de manière vertigineuse. La vision de la nature et les sons qui l’accompagnent traduisent l’émotion du personnage. De la même manière, la musique est une ligne d’écriture qui nous permet d’accéder à l’état de Judith. Elle joue un véritable rôle. Ce n’est pas que de l’accompagnement.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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Sortie : 23/11/2016

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