People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 14/08/2018

Rencontre avec Thomas Lilti

Confortablement installés sur un rooftop surplombant Nantes, écrasée par la canicule, nous avons pu échanger avec le réalisateur, et ancien médecin, Thomas Lilti sur son nouveau film qui fleure déjà bon la rentrée et les bancs de la fac.

Quel est le point de départ de ce nouveau long métrage ?
J’avais depuis longtemps envie de faire un film sur l’université, sur l’énergie des étudiants au travail. J’avais une idée très précise de ce que cela pourrait donner cinématographiquement. Au départ, cela devait s’appeler Panthéon Sorbonne. Finalement, la volonté d’ancrer cette histoire dans l’univers de la médecine est venue de la tournée des avant-premières de mon précédent film Médecin de campagne. Lors des débats avec le public, on me demandait souvent mon avis sur les raisons du manque de médecins dans les campagnes. A force, j’en suis venu à la conclusion que peut être le problème ne venait pas des jeunes docteurs mais du système qui les forme. A ce moment-là, j’ai eu un déclic. D’autant que les études de médecine je connais. Je sais ce qui marche et ce qui ne marche pas. J’ai donc voulu creuser cela.

Ce film est-il donc une critique du système éducatif ?
Oui. L’objectif de ce film est d’en montrer les inégalités. En fait, il y a ceux qui comprennent les codes de ce système et qui se fondent parfaitement dans le moule, et ceux pour qui c’est plus compliqué. Face au travail, nous ne sommes pas égaux. Idem face au bachotage. Ce n’est pas une question d’intelligence. Celui qui intègre bien les règles de fonctionnement fera t-il un meilleur médecin que celui pour qui c’est plus laborieux ? Rien n’est moins sûr. Quand à 18 ans, votre vie entière tient à un classement sur une liste, il y a quelque chose qui ne va pas. A travers mes deux personnages, je voulais montrer l’absurdité et l’injustice de ce système. Je souhaitais parler de la façon dont celui-ci ne fait rien pour aider les jeunes et les mettre en valeur. Je voulais raconter la violence et l’épreuve que sont ces concours qui déterminent toute une vie. D’autant qu’il s’agit du seul cursus en France pour devenir un médecin. La médecine est un métier passion et si l’on ne fait pas partie des 18-20% de ceux qui vont réussir, on peut se retrouver totalement perdu. Plein de jeunes se retrouvent face à un plafond de verre. Cette année de médecine est complètement folle. Au final, dans Première année, la médecine n’est pas un prétexte mais un contexte, un moyen de parler de cette hyper compétition dans laquelle notre époque nous contraint à vivre. A peine sorti du lycée, le système des études supérieures nous classe, nous oppose. A quelle moment a t-on fini par trouver ça normal ? Est-ce que ce système fonctionne ? Avec ce film, je voulais faire un constat et soulever ces questions.

Peut-on dire de votre film qu’il a une dimension politique ?
Parfaitement. Même si cela se présente sous la forme du divertissement, j’ai l’impression que tous mes films sont politiques. Pour écrire, je pars de la réalité, de mes observations et dans ce cas, la question politique réapparait rapidement. La politique est une façon de raconter le monde, comme le cinéma. Du coup, je fais des films politiques en racontant des histoires sur notre époque. Toutefois, la dimension politique n’est jamais le point de départ. Première année n’est pas là pour marteler une thèse. C’est au spectateur de lire le film comme il le souhaite. On peut aussi le voir comme un film sur l’amitié. Ou sur le passage à l’âge adulte. Après, si par mes films je peux faire bouger les lignes tant mieux. Mais je ne me fais pas d’illusion, je sais que je ne révolutionnerai pas les choses. Je vois mes longs métrages comme des témoins. J’aimerais que Première annéepuisse être un passage de témoin entre les générations. Qu’il crée du lien, de la discussion afin que les parents, qui se sentent parfois démunis, puissent mieux comprendre leurs enfants étudiants en médecine

Avec un tel film, ne craignez-vous pas d’effrayer d’éventuels aspirants médecins ?
Cela risque de leur faire peur, mais je pense qu’ils n’ont pas besoin de ça pour se faire peur.
Le film sort à la rentrée mais ce n’est pas pour les décourager. Je veux dire aux jeunes qu’ils ont le droit d’échouer.

Comment votre film a t-il été accueilli par les facs de médecine ?
Les présidents d’université qui l’on déjà vu se reconnaissent dans mon film. Même eux disent que c’est une boucherie pédagogique, que c’est atroce, que c’est un vrai souci. Ils ne sont pas du tout en colère contre moi et ce que je dépeints. Puis, l’idée de Première annéec’est aussi de montrer que cette jeunesse d’aujourd’hui est performante, bosseuse, et pas aussi décadente qu’on veut bien nous le faire croire.

Comment avez-vous conçu votre duo d’acteurs ?
Il y a un lien très fort entre Vincent Lacoste et William Lebghil, une complicité naturelle liée à leur amitié qui m’a beaucoup aidée. William a un jeu très à l’écoute. Tout comme Vincent, il a un naturel qui frôle toujours la comédie. On peut jouer sur les nuances avec lui. C’était important car le duo Benjamin/Vincent change constamment. On passe de l’apprivoisement à l’admiration, de la complicité à la rancœur, la jalousie, le manque, etc. J’avais donc besoin de comédiens capables d’incarner une large palette d’émotions. Après Hippocrate, j’étais vraiment heureux de retrouve Vincent. Je savais qu’il avait cette gravité, cette intensité qui fait la force du personnage d’Antoine. Leur duo était une évidence pour moi.

Ancien médecin, vous êtes vous même passé par cette épreuve. Quelle est la part autobiographique de ce film ?
Ce film n’est en rien autobiographique. Il est très fictionnel. Mais, il est vrai que le personnage que joue William Lebghil est plutôt proche de ce que j’ai pu moi-même vivre. A savoir un garçon qui ne sait pas bien ce qu’il fait là, si ce n’est pour faire plaisir à sa famille, mais qui va se prendre au jeu et découvrir qu’il est doué pour la compétition, l’apprentissage scolaire. Par ailleurs, je suis un peu obsessionnel dans le travail et je voulais absolument tourner dans la fac où j’ai moi même étudié. Cela n’a pas été facile d’avoir les autorisations mais c’était important et cela m’a nourri. J’ai pu constater que 20 ans plus tard, rien n’a changé.

Nous ne sommes parfois pas très loin du côté documentaire…
Je voulais un film tout en tensions mais qui soit aussi très naturaliste, très vrai. Je voulais absolument tourner dans les vrais lieux. Les amphis qui craquent, la bibliothèque, le centre d’examen de Villepinte. A un moment, on m’a dit qu’il ne serait pas possible de filmer à Villepinte. Alors j’ai dit que je ne ferai pas le film. Il était essentiel pour moi que l’on se rende compte de ce que c’est que de passer un concours dans cet immense espace froid, de la tension qui y règne. Que ce soit en termes d’écriture ou de mise en scène, mon cinéma est un mélange de documentaire et de fiction. Pour ce film, j’ai aussi recueillis de nombreux témoignages. Beaucoup de figurants sont de véritables étudiants, qui ont apporté leur point de vue, leur vision aux comédiens.

Après Hippocrate et Médecin de campagne, peut-ont qualifier ce film de prequel ?
Ce n’est pas un prequel car les personnages ne sont pas les mêmes. Mais j’avais en effet cette volonté de finir ma trilogie. Une trilogie dans le désordre qui met en scène trois personnages masculins à un croisement de leur vie, trois visions de la médecine, trois regards sur la société française. En soi, Première annéeclôt quelque chose, alors qu’il traite du commencement. J’aime les sagas en littérature et ça me plait que les spectateurs puissent faire des liens entre les films. J’avais envie de continuer à montrer la brutalité d’un métier qui devrait pourtant être dans l’empathie, l’humanité. 

Comment de médecin en êtes-vous arrivé à devenir réalisateur ?
on goût pour le cinéma remonte au lycée. J’ai assez tôt eu envie de faire des films alors que je viens d’une famille qui ne compte aucun artiste. En revanche, je n’ai jamais eu envie d’être acteur. J’ai toujours voulu mettre en scène. J’allais beaucoup au cinéma étant jeune, sans pour autant être cinéphile particulièrement. Finalement, après des années d’exercice de la médecine, j’ai trouvé l’énergie pour me lancer dans la réalisation en parallèle. La charge de travail est une vraie source de bonheur pour moi. J’aime le challenge, l’idée d’apprendre. 

Quel directeur d’acteurs êtes-vous ?
Je fais des films en parlant à mes acteurs comme je parlais à mes patients. Il n’y a pas de règle dans la direction d’acteurs. Le comédien en fait déjà beaucoup par lui-même. Après, il faut le mettre en confiance et lui donner quelques conseils simplement.

Quelles sont vos références cinématographiques ?
J’ai adoré le ciné noir américain des années 50 aux années 80 pendant très longtemps. J’adore le cinéaste Robert Bresson. J’aime beaucoup Elia Kazan et notamment La Fièvre dans le sang. Tout comme Franck Capra et son cinéma un peu idéaliste. Moi même je mets en scène des héros très romanesques et j’aime les happy end.

Aimeriez-vous aborder d’autres sujets que celui de la médecine au cinéma ?
Je l’ai déjà fait via ma casquette de scénariste. En tant que réalisateur, j’ai d’autres sujets que j’aimerais aborder. Mais si je ne dois finalement faire que des films sur le monde de la médecine, ça ne me pose aucun souci.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet 

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