Rencontre avec Yannick et Jérémie Renier

C’est dans une atmosphère des plus détendues, façon discussion entre amis autour d’un petit gueuleton, que Jérémie et Yannick Renier ont volontiers répondu à nos questions sur Carnivores, leur premier film comme réalisateurs. Avec le sourire, naturel et sans fioriture.

Etait-il évident pour vous de réaliser ce premier film ensemble ?
Jérémie Renier : C’était une volonté dès le départ car au fil du temps, nous nous sommes rendus compte avec Yannick de notre complémentarité. Du coup, cela nous est apparu comme une évidence. Et ça a été vraiment facile de travailler ensemble.
Yannick Renier : Tout cela s’est fait avec beaucoup d’envie, d’enthousiasme. Nous apportant l’un l’autre, cela faisait sens de s’associer.

Comment l’idée de ce long métrage est-elle née ?
Yannick Renier : L’idée de faire ce film nous est venue après la promotion du long métrage Nue Propriété dans lequel nous jouions tous les deux. En rentrant du festival de Venise, je me suis retrouvé à porter la valise de Jérémie pendant que lui était au téléphone. Face à cette situation toute bête, l’envie de traiter de la différence de notoriété entre deux sœurs comédiennes nous est venue.
Jérémie Renier : La relation de deux sœurs faisant le même métier nous parlait évidemment. Il y avait là un effet miroir qui nous intéressait. Toutefois, si nous n’avons pas mis en scène deux frères, c’est afin de mettre une certaine distance à ce miroir malgré tout.

Comment avez-vous choisi vos deux actrices ?
Jérémie Renier : Comme il est de coutume, nous avons passé en revue les comédiennes de la tranche d’âge qui nous intéressait et de là nous avons essayé de voir celles qui pouvaient convenir le mieux pour tel ou tel rôle. Avec ces deux actrices, il y avait un truc. Leïla Bekhti est très généreuse, lumineuse, bienveillante, et cela nous intéressait de la mettre dans l’ombre, de la rendre mystérieuse, plus sèche.
Yannick Renier : Zita Hanrot est quant à elle réservée, humble. Elle ne prend pas beaucoup de place. C’était donc intéressant de la faire jouer cette comédienne dans la lumière, qui a réussit. Nous sommes tous des êtres multiples. Le jeu est donc d’explorer des choses différentes, d’aller voir ailleurs, d’expérimenter d’autres vies. C’est ce que nous avons fait en choisissant ces comédiennes et en les confrontant à des personnages très différents de leur personnalité.
Jérémie Renier : La complicité entre nos deux actrices était également importante. Il fallait que le courant passe. D’autant que malgré la tension entre elles, il fallait aussi que l’on ressente de l’amour.
Yannick Renier : Elles se sont faites confiances mutuellement et elles nous ont fait confiance tout de suite.

Les frères Dardenne à la production, vous à la réalisation, un film sur deux sœurs, Carnivores est une véritable histoire de familles…
Jérémie Renier : La famille est un sujet très vaste qui n’a de cesse d’inspirer. Nous trouvions intéressant d’explorer quelque chose assez proche de nous. Tous, nous avons jalousé d’une manière ou d’une autre nos frères et sœurs. On se regarde, on se jauge, on se met à la place de l’autre. Nous voulions montrer cela. Dans ce film, Mona a l’impression que c’est elle qui devrait être à la place de Sam, dans le rôle de Justine qu’elle semble mieux appréhender. De cette frustration découle la tentation. Et à la première occasion, Mona s’engouffre dans la brèche.
Yannick Renier : A travers ces deux sœurs, nous voulions poser la question suivante aux spectateurs : jusqu’où est-on prêt à aller pour sa réussite personnelle ?
Jérémie Renier : Le film avance à travers les yeux de Mona, son fantasme, ce qu’elle projette de son désir.
Yannick Renier : Petit à petit, l’histoire s’assèche pour ne plus se concentrer que sur les deux sœurs et le drame qui se joue.

Au delà du jeu, l’image joue un vrai rôle dans votre film…
Jérémie Renier : La photo, l’esthétique, cela nous parle tous les deux. Nous y avons donc accordé beaucoup d’importance. Nous voulions quelque chose de très propre, cadré. L’image devait vraiment apporter quelque chose au scénario.

Pourquoi le choix de ce titre, Carnivores ?
Jérémie Renier : Il s’agit d’un titre énigmatique pour éveiller la curiosité du spectateur. C’est en voyant le film que l’on comprend ce qu’il signifie. Il évoque la place du territoire, la place de l’autre. Le rapport entre le prédateur et la proie.

Comment la répartition des tâches s’est elle faite entre vous deux ?
Jérémie Renier : Cela s’est fait très naturellement. D’abord, nous avons écrit ensemble. Ensuite ce qui nous a importé, c’était de diffuser la même information. Donc, nous nous réunissions régulièrement tous les deux afin de faire le point.
Yannick Renier : On a parfois des visions des choses différentes alors on en discutait. On ne ferme pas le débat. Toute réflexion est intéressante. On essaie, on tente des choses. On s’écoute.

Les Dardenne qui produisent le film ont-il eu leur mot à dire ?
Yannick Renier : Les Dardenne ont vraiment respecté notre travail. Ils ne se sont en aucun cas imposés, immiscés dans le tournage. Ils nous ont simplement questionné et par leurs réflexions, ils nous ont permis de nous adapter, de réfléchir, d’évoluer. Il vaut mieux faire ses propres erreurs quand on fait un premier film de toute façon.

Aviez-vous des références cinématographiques en tête lors du tournage ?
Yannick Renier : Take Shelter de Jeff Nichols, Morse de Tomas Alfredson, It Follows de David Robert Mitchell, Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich sont quelques uns des films qui nous ont accompagné lors de cette aventure. Pour leur propension à faire monter la pression surtout.

Cela vous a t-il donner envier de réitérer l’expérience ?
Jérémie Renier : On a pris beaucoup de plaisir à faire ce film. Pour la suite, on verra comment celui-ci va être accueilli déjà. Mais nous serions partants.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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