People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 20/04/2017

Rencontre avec Yolande Moreau et Chad Chenouga

Plus de 15 ans après son premier long métrage, Chad Chenouga revient derrière la caméra avec une nouvelle fiction autobiographique. Yolande Moreau y interprète la directrice d’un foyer d’accueil.

Quel est le point de départ de ce film ?
Chad Chenouga : J’avais déjà écrit une pièce un peu sur le même thème en 2011. Elle s’appelait La Niaque et j’y racontais mon placement en foyer. A l’époque, l’écriture était déjà très visuelle, très cinématographique. J’étais seul en scène avec des danseurs afin de montrer l’énergie de l’adolescence. J’y racontais le fait de se plonger dans les études pour tenter de se sortir d’un destin médiocre qui tend les bras… C’est comme ça que j’ai pensé à raconter cette histoire au cinéma. En revanche, la pièce se déroule à l’époque où j’étais adolescent car elle se base en grande partie sur ma vie. Pour le film, je voulais que cela se passe de nos jours. Donc, il a fallu faire des ateliers au préalable pour comprendre comment les foyers d’accueil fonctionnent à présent. Il fallait prendre en compte les changements. Par exemple, à mon époque, ceux-ci n’étaient pas mixtes. L’écriture du film s’est donc faite en s’inspirant du réel et avec du temps. J’ai rencontré pas mal d’éducateurs.

Qu’est ce que cette histoire a de cinématographique à vos yeux ?
Chad Chenouga : Il s’agit d’un parcours initiatique, du destin chaotique d’un ado dont la vie n’est pas comme celle des autres. Je trouvais intéressant de montrer les meurtrissures cachées de jeunes gens à l’aube de leur vie, mais aussi leur énergie malgré un parcours compliqué. A travers Nassim, on assiste à une sorte de renaissance. C’est un personnage qui évolue, qui grandit… Je voulais montrer comment cet ado sous le coup de la stupeur, de la culpabilité, de la solitude, va s’ouvrir au contact des autres du foyer.

Encore une fois, il s’agit donc d’un film autobiographique…
Chad Chenouga : Exactement. Je crois que j’ai besoin de revenir sur des événements de mon passé. Cela dit, il s’agit bel et bien d’une fiction co-écrite avec Christine Paillard basée sur les ateliers que j’ai organisés dans des foyers et ma propre trajectoire.

Quelle est la part de fiction dans ce film ?
Chad Chenouga : Quand on raconte des histoires, il faut tricoter. Donc même si celle-ci est grandement basée sur ce que j’ai vécu, il y aussi de la fiction. Pour commencer, le fait qu’il ne s’agisse pas de la même époque que la mienne induit forcément des différences. Je pense notamment à la présence des téléphones portables. Ensuite, je me suis aussi inspiré des ateliers que j’ai dirigés dans des foyers. En fait, c’est de la fiction qui se raccorde à des sentiments personnels, à du vécu. Ma volonté était de prendre une certaine distance par rapport à ma propre histoire, mais en préservant la justesse de mon ressenti et de celle des personnages que l’on avait créés.

Comment avez-vous procédé pour le casting ?
Chad Chenouga : Cela s’est fait en casting sauvage à Paris et dans sa banlieue. En tout, j’ai rencontré environ 800 adolescents, pour la plupart de jeunes acteurs dont il s’agissait de la première expérience. J’ai fini par former un petit groupe avec qui j’ai organisé des ateliers durant 8 mois jusqu’au tournage. Cela a permis qu’une complicité se crée entre eux. Il fallait qu’ils soient à l’aise, naturels. C’était vraiment important. Au final, ils sont devenus potes et je pense que ça se voit dans le film.
Yolande Moreau : Moi, lorsque je suis arrivée sur le tournage, je pensais d’ailleurs que c’était déjà des potes, qu’ils se connaissaient d’avant, que Chad avait carrément embarqué une bande avec lui.
Chad Chenouga : Alors qu’il a fallu 5 mois pour trouver la petite bande, 8 mois ont été nécessaire afin de trouver le comédien qui incarnerait Nassim. Ce qui est très long. Et en même temps, ce n’est pas rien de devoir choisir la personne qui va vous incarner à l’écran. Ce n’est pas un exercice évident. Pour ce personnage, je voulais un jeune garçon qui ait un côté dandy, un peu arrogant. Qui soit crédible dans les deux mondes dans lesquels il évolue. Finalement, nous avons trouvé Khaled Alouach via une vidéo de présentation qu’il avait postée sur son site. En la voyant, ma coscénariste a tout de suite dit que c’était lui. Pour ma part, j’avais quelques doutes eu égard à la qualité de la vidéo mais elle avait raison.

Yolande Moreau, qu’est ce qui vous a séduit dans ce film ?
Yolande Moreau : Au delà du personnage, ce qui m’a avant tout séduit c’est l’histoire et ma rencontre avec Chad Chenouga. J’ai alors voulu voir ce que je pouvais apporter à ce personnage. Au départ, j’avais un peu peur qu’il soit trop convenu pour moi et en fait non. Madame Cousin est assez directive, autoritaire mais elle est ouverte et, sans être dans l’effusion, a un véritable contact avec les jeunes.

Vous êtes-vous immergée dans ce milieu pour préparer votre rôle ?
Yolande Moreau : Absolument pas. Je ne me suis pas préparée du tout en amont. C’est vraiment au moment du tournage que j’ai découvert ce milieu. Et j’ai alors rencontré une femme qui fait mon boulot dans le film et avec qui j’ai pas mal discuté.

Votre film est-il une critique du système ?
Chad Chenouga : Non je ne crois pas. Ce n’était en tout cas pas mon intention. Mon regard se porte surtout sur les jeunes du foyer et la directrice Madame Cousin. Je ne fais pas de critique des institutions mais j’en montre en revanche les limites. En fait, il s’agit plus d’une critique de l’injustice.

Pourquoi avoir choisi ce titre : De toutes mes forces ?
Chad Chenouga : De toutes mes forces fait référence à l’énergie de ces ados qui vont au bout des choses, à l’énergie du groupe. Cela évoque aussi l’énergie qui parfois fait mal, blesse mais aussi l’énergie vitale.

Le 3e film sera t-il de nouveau autobiographique ?
Chad Chenouga : Je ne pense pas. Je crois que j’ai vraiment envie de faire autre chose. Et pas question de laisser passer 15 ans cette fois ci…

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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Sortie : 03/05/2017

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