Dans le monde du cinéma depuis des années, Etienne Comar passe pour la première fois derrière la caméra avec Django, un biopic musical sur le plus célèbre des guitaristes tsiganes.
Il s’agit de votre première réalisation après une vingtaine d’année en tant que scénariste et producteur, quel a été le déclic ?
Cela faisait un bout de temps que je pensais à la réalisation. Ce n’est pas une lubie soudaine. En fait, cela remonte à une dizaine d’années lorsque j’ai commencé à écrire des scénarios. Quand on écrit, on est comme le premier spectateur et on envisage déjà un peu la future mise en scène de l’histoire qui prend vie sous notre plume.
Comment l’idée de consacrer ce premier film à la vie de Django Reinhardt vous est venue ?
Le cinéma et la musique sont les deux grandes passions de ma vie, donc j’aimais l’idée de concilier les deux pour ma première réalisation. Je voulais d’une histoire sur un musicien dans la tourmente, en prise avec des événements historiques et évoquer la liberté caractéristique des artistes. Puis, mon père était un grand admirateur de Django et sa musique m’a donc imprégné dès ma jeunesse. Même si je me suis orienté vers d’autres univers ensuite et que je l’ai un peu laissé tomber, c’est un musicien tellement iconique que l’on y revient forcément. Sa personnalité me plaisait, j’ai donc commencé à me pencher sur sa vie et à écrire sur lui. A force, je me suis persuadé que c’était le bon projet pour que je me lance.
Vous vous êtes appuyé sur un livre pour l’écriture du scénario…
En effet, j’ai lu Folles de Django, une biographie romancée de Alexis Salatko que j’ai ensuite rencontré. Au final, nous avons écrit le scénario ensemble. Nous avons uni nos compétences mais le film n’a rien à voir avec son livre.
A quel point êtes-vous resté fidèle à la réalité ?
Il n’y a pas vraiment de documents sur Django, pas de lettres ou ce genre de choses. On s’est donc pas mal basé sur des témoignages, des souvenirs transmis. En fait, tout le film est bel et bien basé sur des faits réels, mais chaque scène a été retravaillée selon l’imaginaire que l’on s’est fait. Django est une fiction et je le revendique, on est donc dans du mensonge vrai. Cela étant, il était important pour moi qu’il y ait des gens de la communauté tsiganes au casting et sur le plateau afin d’être dans l’authentique. Très naturellement, ils nous ont orienté sur les décors, les costumes… En revanche, le personnage de Louise, incarné par Cécile de France, n’a pas existé. Il s’agit sans doute de l’élément le plus fictionnel du film. En fait, elle rassemble plusieurs personnages qui ont gravité autour de Django, des femmes de l’intelligentsia artistique parisienne de l’époque. Et puis, elle me permet d’intégrer la résistance dans le scénario.
Il ne s’agit pas d’un biopic retraçant toute la vie de Django Reinhardt mais juste un épisode. Pourquoi ce choix ?
Je n’aime pas les biopics qui retracent tout une vie, avec l’enfance, des souvenirs en flashback… Je trouve ça fastidieux. Les Américains savent bien le faire mais c’est pas mon truc. Et puis l’une de mes premières expériences cinématographiques s’est faite sur le film Van Gogh de Maurice Pialat en 1991, qui ne s’intéressait qu’à quelques mois de la vie du peintre. Cela a du me marquer. J’ai donc choisi de me concentrer sur cette période de l’occupation car je trouve qu’elle illustre bien, notamment, la façon dont la musique peut permettre de s’extraire du monde. Par ailleurs, l’aspect historique de l’histoire m’intéressait vraiment et je voulais qu’il y ait de la place pour cela. Il s’agit d’une période trouble et passionnante. Je voulais évoquer le sort des tsiganes durant la guerre et pas que la vie de Django. C’est un sujet peu traité et leur persécution n’a été reconnue par la France qu’il y a peu par le Président Hollande. Je trouvais important d’en parler et je pense que cela donne encore plus de force au film.
Comment la famille a t-elle accueilli le film ?
La famille Reinhardt est reconnaissante de ce film car, justement, peu d’œuvres au cinéma évoque la persécution des tsiganes durant cette période. Avant le tournage j’avais rencontré le petit fils de Django et il m’avait accordé sa confiance. Il m’avait alors parlé de sa famille et de cette période durant la Seconde Guerre mondiale.
Comment avez-vous pensé à Reda Kateb pour incarner Django ?
J’ai pensé à lui assez vite durant l’écriture. C’est un acteur que j’admire, l’un des plus talentueux de sa génération. Et puis, à mon sens, cela faisait quelques temps qu’il attendait qu’on lui propose un vrai grand rôle. De ceux qui vous font porter un film. Jusque là, il avait évidemment eu de jolis rôles mais pas un qui lui permette d’être vraiment au premier plan, lui seul, tout au long du film. Et puis, même s’il n’est pas de la communauté tsigane, je trouvais que sa gueule convenait bien. De leur côté, les Tsiganes ont été un peu réticents au début, me rappelant avec leur franc-parler qu’il était un arabe, un kabyle. Mais je leur ai dit que c’était la magie du cinéma et cela s’est finalement bien passé. En outre le fait qu’il s’agisse pour lui de son premier grand rôle et moi de ma première réalisation m’a sans doute rassuré. C’est un peu comme si nous étions dans le même bateau. L’idée me plaisait donc. Avant et durant le tournage, il s’est vraiment investi. Il a pris le film et appréhendé son personnage par la musique et a appris durant un an à jouer de la guitare avec 3 doigts, comme jouait Django en raison d’une brûlure. Le fait que Reda joue lui même, hormis quelques passages filmés en plan très serré sur les mains, participe au réalisme souhaité. Il a également du apprendre le dialecte manouche et s’est vraiment plongé dans la vie de ce musicien dont il ne connaissait pas grand chose.
Vous êtes-vous inspiré d’autres films pour réaliser Django ?
La question des références est toujours un peu difficile mais les deux principales pour ce film ont été deux classiques en terme de sens et de contenu. Il s’agit de Monsieur Klein de Joseph Losey, un film sur l’occupation, avec une dimension métaphysique sur l’identité, qui n’a pas pris une ride depuis 1976. Et de Johnny Guitare de Nicholas Ray sorti en 1954, un western qui raconte comment on survit grâce à sa musique. Ce sont deux films marquants auxquels j’ai souvent pensés.
Que retiendrez-vous de cette première expérience de réalisateur ?
La réalisation s’est avérée être une drogue puissante. Cela a un côté excitant, exaltant. J’ai éprouvé beaucoup de plaisir durant cette première expérience. Et un plaisir collectif. J’ai donc évidemment fortement envie de recommencer. Après, on verra comment les choses se passent. Le cinéma n’est pas une science exacte. Ce qui est certain, c’est que je vais continuer à écrire pour les autres. Le prochain film qui sortira et dont je suis le scénariste sera Gauguin de Edouard Deluc avec Vincent Cassel.
Propos recueillis par Mathieu Perrichet
En 1943 sous l’occupation allemande, Django Reinhardt, véritable “guitare héros”, fait vibrer le tout Paris aux Folies Bergères avec sa musique swing…