People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 12/03/2019

Rencontre avec Edouard Baer, Michel Leclerc, Leïla Bekhti et Baya Kasmi

C’est un peu en coup de vent - en raison d’un agenda chargé - mais avec professionnalisme et enthousiasme que le réalisateur Michel Leclerc et ses comédiens Baya Kasmi - également co-scénariste -, Leïla Bekti et Edouard Baer sont venus nous parler de leur comédie sociale et politique La lutte des classes.

Quel a été le point de départ de ce nouveau film ?
Michel Leclerc : Ce film est né d’une situation à laquelle nous avons réellement été confrontée avec Baya Kasmi, ma compagne. Comme Sofia et Paul à l’écran, nous avons nous-mêmes vécu à Bagnolet pendant dix ans, dans une petite maison avec jardin. A un moment donné, notre fils a commencé à avoir des soucis dans son école - la même que l’on voit dans La lutte des classes, avec les autres élèves. C’était en 2015, peu après l’attaque de Charlie Hebdo, une période de tensions exacerbées entre communautés. Cette situation nous a beaucoup angoissé. Nous avons du faire face à un dilemme intime, prendre une décision très difficile. Fallait-il changer notre enfant d’établissement ou bien continuer d’avoir confiance en l’école de la République, une institution sacrée à nos yeux ? Nos craintes étaient sans doute un peu disproportionnées. Nous avons questionné nos valeurs, nos principes. Au final, nous nous sommes tellement engueulés à ce sujet que l’on s’est dit qu’il y avait certainement matière à en faire un film.
Baya Kasmi : Cet épisode a été une telle source d’angoisse que cela nous a finalement fait du bien d’extérioriser tout ça par le biais d’un film. D’autant que nous nous sommes rendus compte qu’il s’agit du genre de peur partagée par beaucoup de monde. Et puis, ce sont des craintes qui ont quelque chose d’irrationnel, dont on a un peu honte. Qui vont à l’encontre de nos principes. On trouvait donc que c’était un super point de départ pour une comédie.

Après Le Nom des gens et Télé Gaucho, une fois encore, vous pointez du doigts les contradictions de la gauche…
Michel Leclerc : Croire dans les valeurs de gauche n’est pas toujours facile. Cela peut mettre dans des situations délicates. Les gens de ma génération qui ont grandi dans les année 80 ont passé toute leur vie dans la déception de la gauche. Une raison insuffisante pour devenir de droite, mais qui pose la question suivante : le fait même d’être de gauche n’implique t-il pas d’être dans la contradiction ? Défendre ses idées, tout en acceptant celles des autres ? C’est cette interrogation de départ qui nourrit mes films, m’inspire. Le tout, sans ne jamais tomber dans le cynisme. Le cynisme est quelque chose de très répandu dans la comédie française. Ce n’est pas ma fibre. On peut rire de tous nos personnages, mais jamais en se mettant à distance d’eux. Jamais en se disant : « c’est eux, ce n’est pas nous ».

D’ailleurs, sans une once de méchanceté en effet, vous n’hésitez toutefois pas à vous moquer frontalement des convictions de chacun…
Michel Leclerc : La force de nos convictions peut nous faire avoir des réactions décalées, des comportements inadaptés qui créent des situations propices à l’humour. Que ce soit Paul, engoncé dans ses certitudes libertaires d’ouverture et d’égalité, ou Monsieur Toledano, ce juif orthodoxe. Après, dans un tel film, tout est signifiant. Chaque élément veut dire quelque chose. Tout a un sens et doit donc être soigneusement pesé au préalable. Par exemple, le nombre de femmes voilées à la sortie de l’école avait son importance. Nous évoquons ici des sujets graves, sur lesquels nous nous prenons tous la tête. Aussi, il était essentiel pour nous d’aborder cela avec légèreté.
Leïla Bekhti : Il y a un côté provoc assumé dans ce film. Mais, clairement, il n’y a pas la moindre trace de méchanceté là-dedans. Ce que j’aime dans l’écriture de Michel Leclerc et Baya Kasmi, c’est justement qu’ils partent de sujets de société très forts et parviennent à en faire une comédie familiale.
Edouard Baer : Ce film montre le monde tel qu’il est. A l’écran, les personnages ne sont pas conscients qu’ils sont filmés. Du coup, ils parlent librement. Dans l’intimité de leur domicile, ils disent tout haut ce que beaucoup pense tout bas. En n’ayant pas peur de rire d’un juif traditionnaliste, d’une femme voilée, etc, le film a une dimension presque cathartique. Par dessus tout, ce qui est important, c’est qu’il ne fait pas la leçon. A personne.

Dans La lutte des classes, c’est la question très actuelle du vivre ensemble qui est au centre de l’histoire...
Leïla Bekhti : Depuis mon enfance, le vivre ensemble fait partie de ma culture. C’est quelque chose de logique, d’ancré en moi. Mais, en France, la mixité sociale n’existe plus. Le terme même de mixité est devenu un mot valise, vidé de son sens. Pourtant, cette mixité sociale est le ciment d’une société. Elle est essentielle, primordiale. Nous déplaçons tout le temps le problème, en camouflant tout cela sous des problématiques de religion. Mais ce n’est pourtant pas ça qui est au premier plan. Aujourd’hui, les gens ne se mélangent plus. Ils ne savent plus vivre ensemble. Tout est cloisonné. La lutte des classes est une réalité. Et cela crée des situations graves. D’ailleurs, ce que je trouve touchant dans ce film, c’est l’anticipation de la peur. Les préjugés, les clichés, que l’on a en chacun de nous, et qui nous pousse à agir de façon biaisée. On a tous eu honte d’avoir peur un jour, sans explication particulière. Simplement en raison de l’image que l’on se fait de certaines personnes. Il faut réapprendre à vivre ensemble. C’est de ça dont parle le film. 
Baya Kasmi : Au départ, nous avions pensé appeler le film « Le syndrome du cockpit ». Cette expression fait référence au fait que l’on a ultra sécurisé l’accès au cockpit dans les avions après les attentats du 11 septembre. Or, lorsqu’un jour un pilote a décidé de se suicider avec tous les passagers, il a été impossible d’entrer pour l’en déloger et l’empêcher d’accomplir ce geste macabre. En gros, à force de vouloir se protéger au maximum, on peut finir par se mettre en danger. C’est ce qu’illustre La lutte des classes, qui n’est autre qu’une comédie post-attentats. Il s’agit de montrer que la tentation du repli sur soi, de la protection à outrance ne peut pas être une solution viable. Cette peur des uns et des autres témoigne d’une société malade. Pour constituer une société forte, il faut se mélanger entre communautés, parler entre gens différents, ne pas rester dans sa zone de confort.

A l’inverse de ce que l’on voit souvent au cinéma, vous ne dépeignez pas une banlieue anxiogène, sombre, violente… Pourquoi ce choix ?
Michel Leclerc : Dès le départ, je voulais qu’il y ait de la gaieté dans la manière de filmer les lieux, de la couleur, sans dealer à tous les coins de rues, sans violence. Malgré tous les problèmes qu’il ne faut, bien entendu, pas nier, Bagnolet est un lieu où il fait bon vivre. Je tenais à montrer une vision du dedans et non du dessus. Aussi, avec Alexis Kavyrchine, le directeur de la photographie, nous avons tout de suite décidé, d’un commun accord, de ne pas donner une vision glauque de la banlieue. 

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

 

 

 

 

 

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