Le nouveau long métrage du cinéaste Emmanuel Finkiel (Je ne suis pas un salaud) met en scène un Nicolas Duvauchelle dans la peau d’un pauvre type au bord du gouffre…
Quelle est la genèse de ce film ?
Emmanuel Finkiel : Je suis d’abord parti de ce qui est arrivé à un ami qui, comme dans le film, s’appelle Ahmed et a été accusé à tort d’une agression pour laquelle il a fait de la prison durant six mois. Cette histoire constitue le point de départ mais au lieu de me concentrer sur cet homme, figure du coupable idéal, j’ai voulu consacrer le film à celui qui a accusé un individu tout en sachant qu’il était innocent. J’ai cherché à connaître ses motivations, son intérêt, qui il était. Le film parle avant tout d’une personne qui a des failles, un malaise existentiel et qui, à partir de son agression, retrouve une certaine estime de lui, une posture aux yeux des autres qui lui portent alors de l’intérêt et ne le prennent plus pour un minable. Ce qui m’intéressait, c’était de me focaliser sur les injonctions de la société et sur un homme qui ne parvient pas à rentrer dans le moule. C’est un film sur l’être et le paraître. Dans ce jeu de faux semblants, nous sommes tous très forts. Quoi qu’il arrive, si l’on se retrouve dans une pièce avec quelqu’un d’autre, on va parler et agir différemment. Cette histoire raconte quelque chose de notre époque.
Comment avez-vous pensé à Nicolas Duvauchelle pour le rôle de Eddie ?
Emmanuel Finkiel : J’ai presque tout de suite pensé à lui car je voulais un acteur qui ne compose pas, qui vit réellement les choses et il n’en existe pas 36 000 de ce genre. Lui est instinctif, il y a de la vérité, de l’intensité chez lui. L’idée était que le comédien n’embellisse pas ou ne rende pas plus moche le personnage. Nicolas Duvauchelle parvient à apporter nu son authenticité. Mélanie Thierry, avec qui il forme un couple à l’écran, est de cette même trempe. Du coup, l’alchimie entre les deux était formidable. Dans ce même souci d’encrer le film le plus possible dans le réel, les comédiens n’étaient pas maquillés et portaient pour l’essentiel leurs propres vêtements. D’autre part, la plupart des personnages du film ne sont pas des acteurs professionnels. D’ailleurs, les magistrats et les médecins que l’on voit en sont véritablement.
Nicolas Duvauchelle : Un juge a son vocabulaire, son assise et c’est pas un truc que t’apprend en quelques semaines. Cela a aidé à rendre ce film plus vrai. Il n’y a rien de mieux que de jouer avec de vrais gens.
Emmanuel Finkiel : L’authenticité des vrais gens nourrit Nicolas Duvauchelle contrairement à de nombreux acteurs qui n’aiment pas jouer avec des non professionnels.
Nicolas Duvauchelle, pourquoi avez-vous accepté ce rôle ?
Nicolas Duvauchelle : L’histoire me parlait complètement, tout comme le cinéma d’Emmanuel Finkiel. C’est rare les scénarios de ce genre avec du fond où l’on parle de l’être et du paraître. J’ai tout de suite accroché. Trouver sa place dans le monde et être heureux, c’est un combat de tous les jours. Le monde est malade, la société est malade et c’est de cela dont parle ce film. C’est un cinéma que j’adore, avec un vrai contenu. Ca change de toutes ces comédies dont on nous bassine où seule la forme compte.
Emmanuel Finkiel : Il n’empêche que près de 3 millions de spectateurs sont déjà allés voir Les Tuches 2 alors qu’il y a peu de chance que Je ne suis pas un salaud connaisse le même destin. Cela veut peut-être dire que les Français aiment les beaufs mais pas les mecs borderline, complexes…
Voyez-vous votre personnage comme un salaud ?
Nicolas Duvauchelle : Cela peut sembler bizarre, mais pour moi, ce n’est pas un salaud. C’est un mec en perdition, un pauvre type qui a du mal à trouver sa place par rapport aux normes. Il est en décalage. C’est quelqu’un qui ne vas pas bien, qui souffre, qui ne se retrouve pas dans un modèle que la société lui impose. En cela, il a quelque chose de touchant.
Comment vous êtes-vous préparé pour incarner Eddie ?
Nicolas Duvauchelle : Je me suis mis dans un état de fébrilité, de fatigue, de nervosité, pour me mettre dans la peau de Eddie. Pour cela, j’ai beaucoup couru et très peu dormi. J’ai aussi fait appel à des détails de ma propre vie. J’ai davantage voulu vivre ce personnage que l’incarner. C’est un personnage hyper complexe et je remercie Emmanuel de m’avoir confié un tel rôle.
Emmanuel Finkiel : Comme je le disais précédemment, Nicolas Duvauchelle ne joue pas, il est. Tout son art se retrouve d’ailleurs dans le plan où il est au procès. Il n’a rien à dire, juste à être là et recevoir et il est formidable.
Avez-vous tout de suite su que le film allait mal se terminer ?
Emmanuel Finkiel : Oui, j’ai toujours pensé qu’il devait se finir dans la tragédie car cela justifie l’escalade que l’on observe au fur et à mesure que les minutes s’égrainent. Sinon, tout cela aurait été gratuit.
Savez-vous déjà de quoi traitera votre prochain long métrage ?
Emmanuel Finkiel : Tout à fait et pour la comédie, il faudra repasser car il s’agira d’une adaptation du roman La douleur de Marguerite Duras.
Mathieu Perrichet
Lorsqu’il est violemment agressé dans la rue, Eddie désigne à tort Ahmed, coupable idéal qu’il avait aperçu quelques jours avant son agression.