People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 22/08/2017

Rencontre avec Fellipe Barbosa

En hommage à Gabriel Buchmann, son camarade d’enfance, le cinéaste brésilien Fellipe Barbosa retrace, dans Gabriel et la Montagne, ses derniers pas à travers un road trip africain.

Comment est née l’idée de faire un film sur votre ancien camarade ?
L’idée de faire un film sur Gabriel est arrivée assez tôt, alors même que son corps n’avait toujours pas été retrouvé en août 2009. Lui et moi sommes devenus amis au lycée. Puis, nous avons commencé nos études d’économie en même temps. A 28 ans, après des études aux Etats-Unis, je suis rentré au Brésil et Gabriel était déjà parti faire son tour du monde duquel il n’allait jamais revenir. Beaucoup de ses amis proches m’ont dit que celui-ci parlait beaucoup de moi et m’aimait beaucoup. Cela m’a touché car on avait perdu contact depuis quelques années et de mon côté, je ne pensais plus vraiment à lui. Peut être me suis-je senti soudain un peu coupable. Je me suis dit que j’étais un mauvais ami et ce film est une manière de me rattraper. Ce long métrage, c’est une rencontre avec lui.

Et quel a été le déclic ?
Son appareil photo que l’on a retrouvé à ses côtés a été le véritable point de départ de mes recherches. On le voyait presque toujours souriant sur les clichés. Puis le mail envoyé à sa famille - celui là même qu’on le voit rédiger dans le film - m’a touché. Ses mots étaient ceux d’un idéaliste, à la manière du Candide de Voltaire. Pour lui, voyager comme un touriste s’apparentait à la mort. Il voulait vraiment côtoyer les gens, se sentir vivant, embrasser le monde. Voyager en Afrique est très rare pour un Brésilien et pourtant nous avons une histoire en commun. Gabriel est parti chercher un bien-être qu’il a trouvé là-bas et que j’ai également ressenti en m’y rendant pour la première fois en 2007 dans le cadre d’un atelier de cinéma. Ce voyage a changé ma vision du monde.

D’ailleurs, vous dévoilez une très belle vision de l’Afrique…
A un moment, beaucoup d’amis pensaient qu’il avait été tué et cela m’a dérangé car ils sont arrivés à cette conclusion très rapidement. Cela leur paraissait évident. Du coup, j’ai voulu dresser à travers ce film un portrait humain de cette partie du monde, comme pour la réhabiliter face aux idées préconçues que certains peuvent avoir à tort.

Comment vous y êtes-vous pris pour écrire le scénario ?
A partir de ses photos retrouvées et des emails, j’ai déjà rédigé une grande partie de mon scénario. Puis, j’ai effectué deux voyages en Afrique avant le tournage. L’un en 2011 et l’autre en 2015. C’est ainsi que j’ai rencontré les vraies personnes que Gabriel avait croisées sur son chemin. En discutant avec elles, je me suis rendu compte que de les faire jouer leur propre rôle serait la meilleure solution tant pour des raisons pratiques que de crédibilité.

En mêlant acteurs professionnels et comédiens jouant leur propre rôle, vous proposez un film à mi-chemin entre la fiction et le documentaire. Etait-ce un choix dès le départ ?
J’ai toujours eu l’intention de faire un film de fiction. J’avais un scénario, des scènes vraiment écrites. Mais en rencontrant Alex, Lenny, John, Rashidi, Tonny, Rhosinah, Luke et Lewis lors des repérages, j’ai compris qu’il fallait filmer les vraies personnes et recueillir leurs témoignages. A chaque fois que nous rencontrions l’une d’elles, je sentais la présence de Gabriel et que nous étions ainsi sur la bonne voie. Lors du tournage, j’ai essayé de maintenir au maximum un esprit d’improvisation. La plupart de ces personnes ont vraiment apprécié Gabriel et ils étaient heureux de revivre ces moments qu’ils avaient partagés avec lui. En fait c’est comme si Gabriel avait déjà effectué un casting formidable pour moi. Mais même si le film revêt un aspect documentaire, il s’agit bel et bien d’une fiction. Les deux comédiens principaux qui incarnent Gabriel et sa copine Cristina sont ainsi des professionnels. Et puis, j’ai aussi apporté de ma propre expérience dans le film par petites touches.

Qu’a pensé sa famille lorsque vous lui avez soumis l’idée de faire un film sur Gabriel ?
Je connaissais bien Gabriel et cela les a rassuré. Ils m’ont dit que c’était un honneur pour eux que je fasse un film sur lui. Je suis ravi car ils avaient auparavant refusé d’autres propositions qui auraient à mon avis abouti à quelque chose de plus commercial.

Malgré le sujet tragique, votre film fait souvent sourire. Pourquoi ce choix ?
Alex, un ami que Gabriel s’est fait en Afrique et que j’ai rencontré m’a raconté qu’une partie de sa famille s’était faite massacré et qu’il avait donc fui son pays. En me racontant cela, il souriait et je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu que lui était en vie. Cela m’avait étonné mais c’est une impression que j’ai gardé de l’Afrique : ils regardent la mort avec le sourire. C’est pour cette raison que je n’ai pas voulu faire un film qui soit dans le pathos. Mais un film dans lequel on sourit comme pour rendre hommage à cette manière de voir les choses.

Pour autant, vous ne montrez pas non plus un Gabriel sans défaut…
C’est toujours important dans un portrait de montrer de la complexité. Pour que le film soit intéressant, il ne fallait pas idéaliser Gabriel comme un saint à l’inverse de la presse brésilienne au moment de sa disparition. Il était important de le montrer plus contradictoire. A l’instar de son histoire d’amour avec Cristina. L’amour passe par la complexité.

Quelles ont été vos références cinématographiques en réalisant ce film ?
Les influences cinématographiques, c’est quelque chose de bizarre car c’est souvent une fois le film terminé que l’on s’en rend compte. Au début, c’est un peu une soupe et les références nous apparaissent par la suite. Pour celui-ci, je pense notamment à Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois avec ces hommes à la recherche de Dieu et qui ne sont jamais aussi forts que quand ils se retrouvent face à la mort. J’avais aussi en tête Un homme nommé cheval de Richard Harris, un film d’aventures que j’aimais beaucoup étant enfant. Mais l’influence la plus importante a sans nul doute été Sans toit ni loi d’Agnès Varda. J’ai également un peu pensé à Werner Herzog au départ. En fait, encore aujourd’hui les références nouvelles m’apparaissent. En revanche, je voulais absolument m’éloigner de films comme Into The Wild de Sean Penn ou 127 Heures de Dany Boyle.

Quels sont vos futurs projets ?
Le prochain film sera une comédie située dans une maison au sud du Brésil. Cela se déroulera sur une journée durant un barbecue dans une famille aristocrate au moment où Lula devient président. Un long métrage un peu à la manière de Luis Bunuel. J’ai aussi un autre film en prévision qui se passera à Berlin sur un trio amoureux. Il s’agit de deux films que je n’ai pas écrit. L’autre projet est plus personnel puisqu’il sera sur une grande amie photographe morte lors d’un attentat au Burkina Faso…

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

A lire également

Gabriel et la montagne
Gabriel et la montagne

Sortie : 30/08/2017

Avant d'intégrer une prestigieuse université américaine, Gabriel Buchmann décide de partir un an faire le tour du monde.