People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 09/11/2018

Rencontre avec Louis-Julien Petit

Après une discussion en off de 10 minutes, le temps que son café allongé arrive - la fatigue se faisant visiblement sentir -, le réalisateur Louis-Julien Petit s’est confié sur son nouveau film Les Invisibles. Un échange au cours duquel nous avons découvert un homme authentique dont la voix chevrotante et les yeux embués, en évoquant certains sujets, trahissaient parfois l’entièreté et la grande sensibilité. 

Comment a débuté cette aventure ?
Tout est parti de Claire Lajeunie qui a réalisé un documentaire, Sur la route des invisibles, traitant des femmes vivant dans la rue, puis en a tiré un livre. Sur ses conseils, j’ai lu ce bouquin dans lequel elle raconte la tragi-comédie des centres d’accueil. J’ai été bouleversé. J’ai ri. J’ai été ému. J’y ai vu une matière parfaite pour un film. Donc, pendant un an, je me suis ensuite rendu dans des centres pour voir cette réalité de mes propres yeux. J’ai rencontré des SDF et des travailleurs sociaux. J’ai pu prendre conscience qu’aujourd’hui les choses ne sont clairement pas adaptées. On met l’humain au rabais… Je me suis alors demandé ce qu’il se passerait si, dans les centres, accueillies et aidantes collaboraient vraiment pour trouver des solutions. L’idée du film est née comme ça. En revanche, si j’accuse un système, mon envie n’était pas d’accabler l’administration. Je pointe du doigt un monstre sans tête.

Pourquoi avez-vous choisi de traiter de ce sujet par le biais de la comédie ?
La comédie était, selon moi, la passerelle idéale pour parler de ce sujet au grand public, le rendre accessible. Le rire permet de fédérer davantage, même si l’on parle de choses sérieuses. J’aime, par exemple, beaucoup les Monty Python, Ken Loach ou Stephen Frears, qui ont pris le parti de rire de la crise, de sujets de société durs. J’apprécie vraiment les comédies anglo-saxonnes bien ancrées dans le réel. En outre, je voulais faire un film solaire,  qui va vers les solutions. C’est un long métrage utopique que je propose. Puis, je ne voulais pas de misérabilisme car ce sont des femmes battantes, des résistantes que je montre. J’ai fait le choix d’être frontal mais que cela reste drôle. En cela, Les Invisibles s’inscrit dans la veine de Discount, avec l’idée de désobéissance civile. Le combat est plus important que le but à atteindre. C’est la force de l’idée qui m’intéresse avant tout.

Seriez-vous capable de faire un film qui ne soit pas engagé ?
A mes yeux, faire du cinéma est déjà un acte militant. Dans chaque film, on raconte une histoire avec forcément une problématique, une intrigue qui parle de notre monde. Le cinéma a cette puissance, cette capacité à parler aux gens. De façon plus personnelle, l’engagement est pour moi important. J’aime l’idée de provoquer le débat à partir d’un sujet de société. L’objectif est de participer à libérer la parole. Mon cinéma parle d’injustice sociale, pousse à la réflexion. J’espère que les gens ressortent quelque chose de mes films. Avec Les Invisibles, je souhaite interpeler, changer la vision de certains et engager ainsi un cercle vertueux.

Comment avez-vous déniché ces femmes qui incarnent les sans-abris ?
Pour le casting, nous avons parlé à une centaine de femmes qui sont venues de façon volontaire. Elles ont d’abord passé un test face caméra, puis ont effectué quelques exercices. Il était important pour moi de faire appel à des comédiennes amatrices ayant vraiment vécu l’épreuve de la rue. Je voulais du réalisme, de l’authentique, de la justesse. De la sorte, je souhaitais aussi leur rendre hommage. Je pense qu’elles avaient des choses à dire. Pour elles, c’est une revanche artistique sur la vie. Elles se sont dépassées, surpassées pendant le tournage. Et elles sont reparties la tête plus que jamais haute et le regard fier. A l’écran, je montre des personnes dignes, qui assument qui elles sont. Alors que l’on s’apitoie souvent sur nos problèmes, ceux-ci ne sont bien souvent pas grand chose par rapport à ce que ces gens vivent. Elles sont l’image de la résilience. C’est une vraie leçon de vie qu’elles nous offrent.

Le film rend aussi hommage aux travailleuses sociales…
Tout à fait. Les travailleuses sociales sont aussi des invisibles, car peu reconnues par l’administration et par les accueillis elles-mêmes bien souvent. Ce que j’ai appris en me rendant dans les centres d’accueil, c’est qu’il s’agit d’un métier passion et qu’il est donc difficile, pour ces personnes, de trouver une limite entre activité pro et vie personnelle. Je voulais montrer le courage, le dévouement, la solidarité, dont font preuve ces femmes. Ce film montre une parenthèse de 3 mois durant laquelle elles vont tout faire pour venir en aide à des personnes totalement démunies avant que le centre d’accueil ne ferme ses portes, pour qu’elles relèvent la tête, qu’elles reprennent confiance. C’est une mission purement altruiste qu’elles se fixent. C’est un film qui parle de l’Homme avec un grand H et des rapports humains.

Comment avez-vous composé votre équipe d’actrices ?
Comme pour les accueillies du centre, je voulais un casting multiracial, toutes générations confondues, à l’image de la société. Je voulais montrer les différences de points de vue, de comportements selon les personnalités. En France, nous avons la chance d’avoir un grand nombre d’actrices talentueuses. Audrey Lamy, je l’ai choisie autant qu’elle m’a choisi. C’est un choix mutuel. Je voulais une actrice qui, en plus de la tragi-comédie qui se dégage d’elle, ait une vraie sensibilité, de la sincérité. C’est une comédienne exceptionnelle. Concernant Corinne Masiero c’était une évidence. J’avais déjà tourné avec elle et j’avais très envie de recommencer. J’ai choisi Déborah Lukumuena car, après l’avoir vu dans une émission télé suite à l’obtention de son César, je l’avais trouvé si brillante que je m’étais alors fait la remarque que j’adorerais qu’elle parle d’un de mes films comme cela un jour. Du coup, j’ai vraiment écrit son personnage pour elle. Quant à Noémie Lvovsky, elle est arrivée un peu plus tard. Je l’avais adoré dans Les beaux gosses en particulier. C’est une actrice très pragmatique, concrète, réelle. Je la trouve fantastique.

Quels sont les premiers échos du public que vous rencontrez ?
Le public paraît vraiment conquis. C’est émouvant. Les gens me disent que le film donne la patate, le sourire, malgré un sujet pas facile à aborder. L’accueil est formidable, comme au festival d’Angoulême où il avait été présenté pour la première fois. Par ailleurs, il semble qu’il provoque une sorte d’éveil des consciences. Ce qu’il se passe est génial et plein d’émotions.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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