Le documentaire historique Le procès contre Mandela et les autres apporte un éclairage inédit sur un épisode décisif de la lutte pour les droits des noirs en Afrique du Sud. Précisions avec le journaliste et réalisateur Nicolas Champeaux.
Comment est né ce projet de documentaire ?
Le procès de Nelson Mandela a été entièrement enregistré au cours de ses neuf mois, entre 1963 et 1964. En 2016, j’ai appris que ces 256 heures d’archives sonores étaient en train d’être numérisées et restaurées par un ingénieur français ayant inventé une machine, l’archéophone, capable de les lire. Ce dernier, en écoutant les enregistrements a tout de suite été frappé par la bravoure de certains co-accusés de Mandela, en particulier Ahmed Kathrada, que j’avais déjà rencontré pour RFI. Il a alors retrouvé mes interviews sur Internet et m’a contacté. Dès qu’il m’a parlé de ces archives, j’ai foncé. J’ai pu écouter deux extraits de 30 minutes et j’ai immédiatement compris que c’était une mine d’or. J’ai été bouleversé par ce que j’entendais. J’ai voulu que ces voix, qui s’étaient battues contre l’Apartheid, résonnent. Que les gens entendent leur histoire, leur engagement. J’ai tout de suite eu envie d’en faire un film.
Alors que vous n’aviez jamais fait de cinéma…
En effet. C’est pour cette raison que je me suis tourné vers William Jéhannin, un ami, qui est devenu notre producteur. Il venait de distribuer le film Une jeunesse allemande de Jean-Gabriel Périot, basé uniquement sur des archives et il s’est aussitôt intéressé au projet. C’est lui qui m’a ensuite présenté Gilles Porte, car je souhaitais faire équipe avec un cinéaste expérimenté. Nous voulions vraiment faire un vrai film de cinéma avec des personnages forts, une tension dramatique. Nous avons pris quelques libertés mais nous n’avons en aucun cas trahit l’histoire.
Avez-vous tout de suite penser à adopter un format mêlant archives sonores, animations et entretiens ?
Il n’existe aucune image du procès et très vite l’idée d’avoir recours à des animations 2D s’est imposée à nous. Car si les procès ne peuvent toujours pas être filmés aujourd’hui, ils peuvent être dessinés. Gilles m’a alors présenté le dessinateur Oerd. Son travail personnel a toujours le son comme départ, et c’est exactement ce que l’on recherchait. La commande était délicate car il fallait que Oerd dessine quelque chose d’extraordinaire à l’écran, sans jamais entrer en rivalité avec le son. Par ailleurs, c’est un dessinateur qui a beaucoup d’humour, des idées artistiques amusantes, et il était important pour nous de ménager des moments légers dans le film, des instants de respiration. Son style graphique convenait parfaitement au projet. Quant aux témoignages des concernés, ils nous semblaient essentiels pour toucher vraiment le cœur de l’histoire. Face à ces visages, ces regards, on ressent une vraie émotion.
Avec ce film, vous réhabilitez en quelque sorte les compagnons de lutte quelque peu oubliés de Nelson Mandela…
L’idée était en effet de rendre sa place au collectif. Ce qui est intéressant c’est que l’on voit que parmi les accusés, il y a des noirs mais aussi des blancs et un indien… En fait, avec ce procès, le gouvernement s’est tiré une balle dans le pied car l’un des principes de l’Apartheid avait toujours été de diviser pour mieux régner. En mettant ces hommes sur le même banc, il entérinait d’une certaine façon le caractère multiracial du mouvement anti-Apartheid. Pour nous, il n’a jamais été question de déboulonner la statue de Neslon Mandela, mais il nous paraissait primordial de rendre leur place aux autres accusés, de montrer qui ils étaient, leur engagement. Ils se battaient tous pour une noble cause et étaient prêts à tout pour leurs convictions. Ce sont des héros ordinaires qui se sont révélés dans des circonstances extraordinaires. Dans l’histoire, l’homme seul ne fait pas grand chose, mais collectivement c’est différent.
Un tel film résonne t-il particulièrement aujourd’hui ?
Je ne sais pas s’il résonne davantage aujourd’hui mais il est certain que le travail de transmission est fondamental. Il s’agit de montrer que la menace plane toujours et resurgit un peu partout, en Europe, aux Etats-Unis, etc. D’ailleurs, nous nous rendons dans beaucoup d’établissements scolaires pour présenter ce film et sensibiliser les élèves.
Quels sont vos projets ?
Je pense que je vais avant tout continuer à faire de la radio. Mais j’ai beaucoup aimé travailler en équipe, avec des gens de qualité. Cela a été un vrai travail de ping pong auquel je n’étais pas habitué. Après, je n’ai peut être pas complètement fini de creuser ce sujet passionnant…
Propos recueillis par Mathieu Perrichet
L’histoire de la lutte contre l’apartheid ne retient qu’un seul homme : Nelson Mandela. Il aurait eu cent ans cette année. Il s’est révélé au cours d’un procès historique en 1963 et 1964.