Premier long métrage du jeune réalisateur Sacha Wolff, Mercenaire invite le spectateur à la rencontre d’un rugbyman wallisien qui découvre la vie en métropole et apprend à devenir un homme. Une sorte de récit initiatique touchant.
Comment l’idée de Mercenaire a t-elle germé ?
L’idée de départ était de faire un film autour du rugby car c’est un univers peu exploité au cinéma et j’adore ce sport très physique avec une vraie dimension sociale et collective. Au début, j’avais pensé m’intéresser plutôt à une équipe d’ados mais je me suis rendu compte que je n’étais pas certain d’être capable de gérer un groupe de jeunes gens. Finalement, c’est en tombant sur un article dans Le Monde décrivant la vie de rugbymen étrangers évoluant en France, y compris dans de petites équipes, que l’envie de raconter une histoire de ce type a germé.
Pourquoi avoir choisi de vous concentrer sur un joueur néo-calédonien ?
En fait, une fois ma décision prise, j’ai commencé à rencontrer pas mal de joueurs étrangers partout en France. Et j’ai notamment passé deux semaines avec l’équipe de Lyon dans laquelle Paki (ndlr : qui incarne Abraham dans le film), pilier calédonien d’origine wallisienne joue. C’est avec lui que le film a pris un tournant. Plutôt que de m’intéresser à un étranger, j’ai pensé que de parler d’un Français venu d’ailleurs avait un vrai intérêt. Cela renvoie à la question de l’identité, de la reconnaissance, au passé français… Et puis en travaillant sur ce film, je me suis rendu compte que le cinéma s’était peu intéressé à cette zone géographique du globe.
Votre film est très réaliste, voire proche du documentaire…
Même si le film est très documenté, il s’agit bien d’une fiction. Le but premier de ce long métrage est bien de raconter une histoire même si les faits décrits sont véridiques ou proches de choses que l’on m’a racontées. Le film est certes assez proche de l’histoire de Paki sur certains aspects mais ce n’est pas son histoire. Je me suis inspiré de lui et d’autres choses que j’ai entendues lors de mes rencontres. Je ne voulais pas être dans du naturalisme pur et dur. C’est un film de genre.
En revanche, les comédiens sont essentiellement non professionnels…
Je savais que je voulais de véritables rugbymen car ils ont des gueules, des physiques que tu ne retrouves pas ailleurs, avec des nez cassés, des oreilles amochées… Je voulais être dans cette vérité des corps et montrer des physiques que l’on ne voit pas habituellement. En plus, il y a de la grâce en eux. Et puis, il n’existe pas de cinéma calédonien donc il n’y a pas de comédien. Pour toutes ces raisons, l’idée d’engager des non pros s’est imposée. Cela offre finalement au film une dimension que je ne pouvais pas écrire car les comédiens ont notamment proposé des choses. Cela l’étoffe. Seule, Ilian Zabeth, qui incarne Coralie, est une actrice professionnelle car il s’agit d’un rôle finalement assez complexe à interpréter. Sa force est de jouer à l’instinct.
Comment avez-vous choisi Toki Pilioko pour le rôle principal ?
Il a été assez difficile à trouver car il fallait un physique, qu’il parle wallisien et qu’il soit entre deux âges. J’ai fini par trouver la personne qu’il me fallait au centre de formation d’Aurillac où Toki Pilioko s’entraîne dans l’espoir de passer pro. En quelques secondes, j’ai su que c’était lui. Il a un magnétisme incroyable, une intelligence de jeu et il n’était pas inhibé contrairement à d’autres Néo-Calédoniens que j’avais rencontrés.
L’expérience a t-elle donné à vos comédiens l’envie de faire carrière dans le cinéma ?
Certains d’entre eux aimeraient refaire du cinéma mais dès le départ je les ai prévenu qu’il s’agirait sans doute du film d’une vie. Honnêtement, il n’y a pas beaucoup de place dans le cinéma français pour les gens de couleur… Surtout avec des gabarits comme les leurs…
Définiriez-vous Mercenaire comme un film sur le rugby ?
Non pas vraiment. Le rugby est davantage un prétexte, un contexte pour montrer quelque chose de plus social. Ce qui m’intéressait avec cette discipline, c’est le côté physique qui permet de dériver sur d’autres enjeux extra sportifs. Je vois plus cela comme une sorte de récit initiatique.
Pour autant, vous montrez des dessous du rugby pas très reluisants. Comment le film a été accueilli par le milieu ?
Les gens du métier ont très bien pris le film dans l’ensemble car ils ont su faire la part des choses entre la fiction et le documentaire. Il n’y a pas de côté moraliste dans ce que je montre. Il a bien sûr fallu que l’on s’apprivoise au départ mais cela s’est bien passé et globalement ils ne voient pas le film de manière négative. Contrairement à l’image qui peut parfois être véhiculée, il s’agit de personnes intelligentes.
Connaissiez-vous déjà la Nouvelle Calédonie ?
Pas du tout. Du coup, j’y ai passé 5 mois, répartis sur plusieurs voyages. J’y ai notamment découvert l’homme qui incarne le père de Soane. J’ai également rencontré pas mal de Néo-Calédoniens en métropole car ils sont nombreux. Cela m’a permis de m’imprégner de cette culture, des traditions, de mieux comprendre les enjeux, les problématiques. C’est important de s’imprégner d’un milieu, surtout lorsqu’on ne le connaît pas.
Quelles ont été vos références pour réaliser ce film ?
Mes influences sur ce film se situent avant tout dans le cinéma japonais et notamment Akira Kurosawa mais aussi du côté du cinéma italien avec Sergio Leone.
Votre film était sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs lors du dernier Festival de Cannes, comment avez-vous vécu cela ?
C’était assez fou. C’est la première fois que j’allais à Cannes. Cela a été à la fois intimidant et un grand bonheur car le film a été bien accueilli. En fait, c’est lorsque j’ai appris aux Wallisiens que le film était au Festival de Cannes, qu’ils ont vraiment pris conscience que c’était un vrai film.
Savez-vous déjà de quoi parlera votre prochain long métrage ?
Ce que je peux dire, c’est que le prochain film ne se passera pas dans le milieu du sport. J’ai des idées mais je ne préfère rien dévoiler pour le moment. Et en parallèle de la fiction, même si cette dernière est dans l’absolu ma priorité dorénavant, je vais poursuivre la réalisation de documentaires. En fait, alors que l’on a tendance à opposer les deux genres, je trouve qu’ils sont finalement assez proches.
Propos recueillis par Mathieu Perrichet
Soane, jeune Wallisien, brave l’autorité de son père pour partir jouer au rugby en métropole. Livré à lui-même à l’autre bout du monde, son odyssée le conduit à devenir un homme…