People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 06/10/2017

Rencontre avec Yvan Attal et Camélia Jordana

Arrivé avec quelques minutes de retard, trois paquets de cigarettes dans les mains et un exemplaire du Monde sous le bras, Yvan Attal s’est volontiers plié à une longue séance de questions/réponses autour d’un café à propos de son cinquième long métrage comme réalisateur, Le Brio. A ses côtés, Camélia Jordana, les yeux encore légèrement gonflés de sommeil au début de l’entretien, s’est peu à peu réveillée pour évoquer, un large sourire en travers du visage, son premier grand rôle au cinéma.

Quel a été le point de départ de ce film ?
Yvan Attal : C’est un scénario que les producteurs m’ont proposé et que je me suis réapproprié. Il s’agissait à la base de l’histoire d’une jeune fille de cité, garçon manqué, qui jouait au foot, faisait du rap et qui se retrouvait par hasard à intégrer la faculté d’Assas pour faire des études de droit. Dès le départ, le sujet m’intéressait, je me suis totalement identifié à cette jeune femme, son histoire, son parcours, celui de quelqu’un qui refuse de rentrer dans des cases pour avancer. Si pour ma part, contrairement à elle, je ne suis pas allé à la fac, j’ai fait du théâtre où j’ai aussi rencontré un professeur qui m’a rééduqué. Il m’a remis les pieds sur terre et m’a fait découvrir les grands auteurs classiques. Pour elle comme pour moi, il y a là dedans l’idée que nous devons faire l’effort de comprendre le pays dans lequel nous vivons, de profiter de son héritage culturel et historique. Par le biais de nos auteurs, nos philosophes, nos penseurs, nous comprenons que nous devons penser par nous-mêmes et cela nous oblige à nous questionner. Par ailleurs, j’ai moi même grandi dans une cité de Créteil, la même que l’on voit dans le film. En aucun cas je n’étais destiné à faire ce que je fais et à être où je suis aujourd’hui. Cette histoire a donc eu un écho particulier puisque l’idée première de ce film, c’est qu’il n’y a pas de déterminisme.

A quel point vous êtes-vous réapproprié le scénario de base ?
Yvan Attal : Il s’agissait d’une histoire plus clichée. Le côté garçon manqué, foot et rap ne m’intéressait pas. Pour ma part, je voulais justement éviter les stéréotypes. Le scénario possédait bien les prémisses de mon film mais n’avait pas la tonalité que je souhaitais lui conférer. Disons que le synopsis d’origine était davantage destiné à une vraie comédie de base alors que je voulais en faire plutôt une comédie dramatique. Le Brio est une « dramedy », c’est à dire un film dans lequel on rit mais qui touche et interroge également. Sur le fond j’ai du mal à ne pas faire un film dans lequel il n’y a pas de comédie. Au final, il s’agit d’un film à la fois politique, social et léger. Et les producteurs ont accepté de me suivre dans cette direction.

Le prologue avec des citations de Brel, Gainsbourg, Levi Strauss, etc, annonce d’entrée le propos de votre film…
Yvan Attal : Oui, ces quatre premières citations de personnalités, issues de documents historiques, annoncent les propos du film. Il est question de notre monde et de ce qui peut ne peut aller dans celui-ci, de l’amour de la France, de celui des mots, et du fait d’honnir la paresse et d’inciter à se  bouger le cul.

Ce n’est pas la première fois que vous abordez le thème des clichés au cinéma…
Yvan Attal : Il s’agit en effet de mon deuxième film sur les clichés. Cela me touche car je pense que l’on a des soucis dans ce pays actuellement par rapport à ça. On stigmatise sans arrêt et ce n’est pas bon. Cela ne fait qu’exacerber les divisions. On a beaucoup trop tendance à enfermer les gens dans des catégories, des a priori. Dans le film, Neïla est à la fois victime des préjugés de son professeur, comme elle est prisonnière des cases dans lesquelles son entourage la met.

Le Brio est principalement centré sur l’art oratoire, la parole, que ce soit par des monologues ou des échanges. Est-ce compliqué de mettre en scène cela ?
Yvan Attal : Mettre en scène la parole est un challenge. Ce n’est pas évident. Il faut essayer de trouver une façon de filmer qui mette en valeur un long monologue ou un échange. Il s’agit de rester simple sans ennuyer le spectateur afin que celui-ci écoute vraiment ce qui se dit. J’ai donc varié les axes et les valeurs des champs contre champs notamment.

Avez-vous laissé la place à l’improvisation ?
Yvan Attal : Je ne crois pas du tout à l’improvisation. Là, toutes les scènes étaient très écrites car les dialogues étaient particulièrement importants. Cela étant, avant de tourner, les comédiens apportent également leur point de vue et les choses ne sont pas figées. Mais une fois sur le plateau, ça ne bouge en général plus.

Comment s’est fait le choix de vos deux acteurs principaux ?
Yvan Attal : Le choix s’est fait le plus simplement du monde. On a envoyé le scénario à Daniel Auteuil et il m’a répondu que ça l’avait beaucoup touché. Quant à Camélia Jordana, la production a lancé un casting afin de trouver une jeune femme. Je n’y ai pas assisté et dans la sélection vidéo qui m’a été proposé, j’ai juste eu envie de rencontrer Camélia. Je ne la connaissais pas mais j’aimais beaucoup son sourire. Je lui ai donc fait passer des essais qui se sont avérés justes. Je trouvais qu’elle correspondait bien au personnage que je souhaitais. Ce qui est intéressant, c’est que ni Daniel, ni Camélia, ni moi-même n’avons fait d’études et nous faisons ce métier pour tout ce qu’il nous apporte, tout ce qu’il nous apprend.

Camélia Jordana, comme avez-vous intégré cette aventure ?
Camélia Jordana : C’est mon manager qui m’a parlé de ce projet. Quand je me suis rendue au casting, je savais juste qu’il s’agissait du prochain film d’Yvan Attal mais je ne savais pas encore qu’il y aurait Daniel Auteuil. J’étais excitée mais, à mes yeux, ce n’était de toute façon pas accessible. J’y allais sans trop y croire car pour la première fois de ma vie je passais un casting pour le film de quelqu’un dont j’adorais la filmographie. Par ailleurs, je n’avais jamais eu de premier rôle au cinéma jusqu’alors. Finalement les choses se sont bien passées, j’ai passé le casting, fait des essais, rencontré Yvan, puis Daniel, et enfin j’ai lu le scénario. Alors, j’ai eu très envie de raconter l’histoire de Neïla, une jeune femme qui pousse du coude pour atteindre son but. A travers ce film, je voulais m’adresser à toutes les générations. A la jeune, la mienne, en leur disant : « regardez, quand on y croit, on peut y arriver. C’est possible quand on fait tout pour s’en donner les moyens ». Et à l’ancienne afin de réhabiliter la jeunesse qui est souvent perçue comme feignante, résignée, etc, alors que moi, tous les jeunes que je rencontre partout ont envie, rêvent, ont des projets, se bougent, tentent d’y arriver. En plus, j’ai un véritable amour de la langue, de la diction, du savoir, de l’éloquence depuis petite. Pour moi, c’est un jeu. C’est ma mère qui m’a transmis cela.

Comment en êtes-vous arrivée à devenir actrice ?
Camélia Jordana : Petite, je rêvais d’être chanteuse et comédienne, de faire des tournées, de monter sur scène. Je faisais de la danse, du théâtre, de la musique mais autour de moi, même si mes parents chantaient, le milieu artistique n’était qu’amateur. Aussi, ce monde dans lequel j’évolue aujourd’hui me semblait inaccessible vu d’où je venais (ndlr : Camélia Jordana est née à Toulon et a été lycéenne à Hyères). Puis il y a eu la Nouvelle Star. J’y suis vraiment allée les mains dans les poches. Au final, je suis arrivée jusqu’en demi-finale et je suis devenue chanteuse. Peu de temps après, je me suis alors dit que les rêves pouvaient se réaliser et j’ai donc eu envie de concrétiser le second en devenant comédienne. J’en ai parlé à mon manager et j’ai passé des castings pour en arriver petit à petit là où j’en suis.

Quelle a été votre relation avec Daniel Auteuil ?
Camélia Jordana : Daniel Auteuil est un comédien dont je connaissais le travail depuis toute petite. Je me souviens avoir regardé souvent avec mes parents Jean de Florette, Manon des sources, etc. J’étais donc au delà de l’enthousiasme de jouer à ses côtés. Lors de la première rencontre, l’atmosphère a tout de suite été assez détendue. Il est arrivé habillé en « jeune » et je me souviens que lui et Yvan se sont fait un check. Là, je me suis dit « ah d’accord, donc on est pareil en fait ». C’est quelqu’un qui adore rigolé, même s’il n’est pas très démonstratif. Il est bienveillant, tendre.

Yvan Attal, il s’agit de votre cinquième long métrage - après Ma femme est une actrice, Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, Do Not Disturb et Ils sont partout -, comme réalisateur mais de votre premier dans lequel vous ne jouez pas. Pourquoi ce choix ?
Yvan Attal : C’est vrai que c’est la première fois que je mets en scène un film où je ne joue pas et je dois dire que c’est très agréable. J’étais plus disponible pour mes acteurs. C’était plus confortable. Je n’ai pas éprouvé de frustration car il n’y avait de toute façon pas de rôle pour moi dans cette histoire. Puis, il faut dire que si j’ai joué dans mes précédents films c’est qu’en général je ne trouvais pas de comédien qui accepte de jouer le rôle. Pour Ma femme est une actrice, tous ceux à qui j’ai proposé ont décliné, du coup je m’y suis collé et je trouve que c’est finalement pas plus mal comme cela. Pour Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, c’est pareil… Les choses se sont faites comme ça et j’avais envie depuis longtemps de réaliser un film sans jouer dedans.

Est-ce un avantage d’être soi-même comédien lorsque l’on est amené à diriger des acteurs ?
Yvan Attal : Lorsque l’on est soi-même acteur, je pense que l’on est moins effrayé par ses comédiens. Car je dois avouer que j’ai vu beaucoup de metteurs en scène ne pas oser parler à leurs acteurs. Bon après, de toute façon moi je ne crois pas en la direction d’acteurs. Ce qui importe avant tout c’est le casting. Si on a pris les bonnes personnes pour chaque rôle, ça doit rouler tout seul.

Quelles ont été vos références pour Le brio ?
Camélia Jordana : Pour ce film, j’ai notamment pensé à Will Hunting de Gus Van Sant pour la relation professeur/élève. D’autant que, au delà de ce long métrage, c’est un réalisateur que j’admire particulièrement.
Yvan Attal : Quand on prépare un film, on essaie d’avoir des références c’est vrai. J’ai regardé pas mal de films bavards. Par exemple, j’ai regardé The Social Network de David Fincher et celui-ci, notamment sa première longue scène, m’a libéré. Cela m’a rassuré sur le fait de rester très simple pour filmer un long monologue et la parole en général. Ensuite, tous les Woody Allen sont toujours des références pour moi. Il a tout fait et à mes yeux, il est l’un des plus grands metteurs en scène. Tous ses films sont gravés en moi et j’y pense forcément inconsciemment. Un de mes films préférés de tous les temps, c’est Tootsie de Sydney Pollack. Il y a aussi Sidney Lumet que j’aime beaucoup. J’aime de plus en plus les metteurs en scène très simples qui sont au service de leur histoire. Comme vous le remarquez, j’ai un faible pour le cinéma américain car j’ai grandi avec lui et il faut bien avouer qu’ils ont un temps, voire deux temps, d’avance sur nous.

Quels sont vos projets respectifs ?
Yvan Attal : Rien de particulier comme réalisateur mais je sais qu’à l’avenir, j’aimerais bien ne plus avoir à écrire.
Camélia Jordana : J’ai tourné cet été dans un film Les Beaux Esprits de Vianney Lebasque avec Ahmed Sylla, Jean-Pierre Darroussin, etc. C’est basé sur l’histoire vraie d’un entraîneur qui, pour ne pas perdre la subvention de sa fédération, constitue une équipe de basket de faux déficients mentaux pour participer aux jeux paralympiques de Sidney en 2000. Puis, je viens de commencer le tournage d’un film d’époque qui se déroule au début du XXe siècle et est librement inspiré de la correspondance entre Pierre Louys et Henri de Régnier dans laquelle il est question de leurs amis et de leurs relations avec André Gide, Oscar Wilde, Debussy, Montesquiou, etc.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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Sortie : 22/11/2017

Neïla rêve de devenir avocate. Inscrite à la grande université parisienne d’Assas, elle se confronte dès le premier jour à Pierre, professeur connu pour ses provocations et ses dérapages.