« Vous n’allez pas commencer, j’espère, par me poser la sempiternelle question de comment est né ce film hein. Si vous voulez le savoir, regardez le dossier de presse ». Mi bougon, mi amusé, c’est de la sorte que Cédric Kahn a lancé la rencontre. Entouré de ses jeunes comédiens Louise Grinberg et Anthony Bajon, il s’est ensuite volontiers plié au service après vente – certes rébarbatif pour une équipe mais contractuel - de La Prière.
Bon, même si cela vous agace, vous n’y échapperez pas. Quel a été le point de départ de ce film ?
Cédric Kahn : (rires) Je trouve ça triste qu’un film ne réponde pas à la question de ses propres origines. En voyant un film, on doit pouvoir comprendre pourquoi celui-ci a été fait à mon sens. Mais ok, je vais réciter le dossier de presse. Ce projet est né de trois rencontres. Au départ, c’est Aude Walker, une jeune écrivain, qui m’a mis sur la piste du sujet. Désireuse de faire un livre sur des expériences religieuses tentées avec des toxicomanes, elle avait pas mal enquêté là dessus. Le bouquin ne s’est pas fait, mais j’ai repris ce thème à mon compte et son enquête en allant à la rencontre de différentes communautés religieuses, d’anciens drogués. Il était important de coller à la réalité. Puis, les scénaristes Fanny Burdino et Samuel Doux ont relevé le défi de l’écriture qui, par certains aspects, comportait pour moi beaucoup de défis. Enfin, la productrice Sylvie Pialat a tout de suite adhéré au projet et à l’idée de le faire sans acteurs connus.
Qu’est ce qui vous a attiré dans le fait de traiter de la religion ?
Cédric Kahn : Ce n’est pas un film sur la religion. La religion est l’un des éléments du film certes, mais il ne s’agit pas du point central à mes yeux. Si cette histoire m’a intéressée, c’est parce que l’on parle ici de gens qui prient pour survivre. Ils se réunissent pour se sauver. Cela traite d’amitié – j’aurais parfaitement pu appeler ce film L’Amitié -, d’une communauté d’hommes qui s’entraident, de partage. A travers le personnage de Thomas, j’avais l’ambition de parler également des autres compagnons. Au fur et à mesure, le film s’élargi.
Alors que ces individus, en provenance de l’antichambre de la mort, arrivent dans ce lieu dans une solitude absolue, une grande détresse affective, on assiste à la reconstruction du lien. Même si ce film parle de résurrection, cela va bien au-delà des considérations religieuses donc. La religion est davantage un support. J’aurais très certainement pu traiter de cela dans un milieu laïc.
Quel est votre rapport à la religion ?
Cédric Kahn : Je ne suis ni croyant, ni chrétien. Ce film est celui d’un agnostique. Je n’ai aucune certitude. Je ne crois pas en une puissance divine au dessus de nous. Mais j’ai une certaine foi. Une foi en l’amitié entre les Hommes. Après, je respecte les gens qui sont croyants. La foi est une affaire intime, qui par beaucoup d’aspects, dépasse largement le cadre des religions.
Comment vous y êtes-vous pris, justement, pour filmer la foi, cette chose si intime ?
Cédric Kahn : Par le doute. Rien n’est imposé aux spectateurs. Il y a toujours la possibilité de forger sa propre conviction. Je voulais que les croyants ne soient pas choqués par ce long métrage. Et que les non croyants y aient aussi accès. Je voulais que tout reste rationnel et que les images créent cette subjectivité, cette illusion…
Pourquoi avez-vous souhaité travailler avec des visages peu connus ?
Cédric Kahn : Dès le départ, avec Sylvie Pialat, nous étions d’accord sur ce point là. Il ne fallait pas de comédiens déjà trop identifiés. Je crois qu’il fallait que la prière soit vraiment la star du film. Cela dit, je n’ai aucun prérequis en général. Je peux aussi bien tourner avec des comédiens célèbres, comme avec de jeunes acteurs, amateurs ou non. Selon moi, il n’y a que deux sortes d’acteurs : les bons et les mauvais.
Comment avez-vous composée votre distribution ?
Cédric Kahn : Tout s’est fait par casting. Concernant Anthony Bajon qui incarne Thomas, je cherchais un garçon avec beaucoup de présence, d’intensité, de violence, mais aussi une forme de candeur, un lien fort à l’enfance. Il fallait qu’il soit indéfinissable socialement. Je voulais un acteur capable d’habiter les creux du récit. Autant dire beaucoup de qualités pour un jeune comédien. Et pour moi, Anthony avait tout ça. Il a été une révélation, dans un premier rôle qui exige une intensité physique et psychologique. Pour l’ensemble des comédiens, le premier test que je faisais passer, c’était de leur demander de faire une prière. C’était un peu particulier j’en conviens. D’ailleurs, ceux qui la réussissaient n’étaient pas forcément les plus croyants, mais les meilleurs acteurs. Nous avons travaillé avec l’obsession de créer un groupe homogène et crédible.
Anthony Bajon : Nous nous sommes tous rencontrés juste un peu avant le tournage afin de nous entraîner pour les scènes de chant. Mais très vite, nous sommes devenus amis. Le fait d’être en vase clos a aidé. Aujourd’hui, nous sommes toujours en contact. Cette sincérité, cette complicité se ressent dans le film je pense.
Comment fait-on pour incarner un personnage aussi intense que Thomas ?
Anthony Bajon : Je suis très loin de ce personnage en réalité. Je l’ai donc construit en discutant avec Cédric avant tout, afin de le cerner le mieux possible. Puis, j’ai fait appel à des émotions vécues pour essayer de lui donner vie le plus honnêtement possible. Si on triche, Cédric le voit tout de suite. Ce n’est pas crédible. Il faut croire ce que l’on joue, se laisser habiter par le personnage et l’histoire.
Cédric Kahn : Lorsque je réalise un film, j’essaie de regarder cela comme si j’étais le premier spectateur et j’ai besoin d’y croire. Une des qualités d’un metteur en scène c’est l’adaptabilité. Il y a beaucoup de psychologie. Il faut respecter l’alchimie de chacun. Seulement de la sorte, les choses peuvent fonctionner.
Le personnage de Sybille, l’un des seuls hors de la communauté, est décisif dans le cheminement de Thomas…
Cédric Kahn : C’est le personnage le plus fictionnel du film. Il agit comme un contrepoint nécessaire. Elle incarne le monde du dehors à elle toute seule. Et pour les compagnons, cet extérieur est une obsession. L’envie de retourner à une vie normale se heurte à la crainte de la rechute. Sybille a une parole très libre avec Thomas et joue ainsi un rôle dans son parcours. Elle est le premier personnage très humain qu’il rencontre, à établir un contact avec lui. Elle lui sauve la vie.
Louise Grinberg, qu’est ce qui vous a séduit dans ce film ?
Louise Grinberg : En fait, j’ai passé mes premiers essais sans rien savoir du film. Seulement après, j’ai rencontré Cédric Kahn. Le fait de parler d’un sujet que je ne connaissais pas, ces communautés religieuses aidant des toxicomanes, m’interpelait. Tout comme j’ai été touché par le personnage et le parcours de Thomas. L’histoire d’amour entre Sybille et lui me plaisait aussi évidemment.
Aviez-vous des références particulières en tête en faisant ce film ?
Cédric Kahn : Pas vraiment de choses précises, si ce n’est que j’ai pas mal pensé à des films de western.
Propos recueillis par Mathieu Perrichet
Thomas a 22 ans. Pour sortir de la dépendance, il rejoint une communauté isolée dans la montagne tenue par d’anciens drogués qui se soignent par la prière.