Après l'ombre

Genre : Documentaire
Sortie le : 28/03/2018 (00H00)
Réalisateur : Stéphane Mercurio
Acteurs :

Une longue peine, comment ça se raconte ? C’est étrange ce mot qui signifie punition et chagrin en même temps. Ainsi s’exprime Didier Ruiz lorsqu’il entreprend la mise en scène de son dernier spectacle monté avec d’anciens détenus de longue peine. Dans le temps suspendu des répétitions on voit se transformer tous ces hommes - le metteur en scène y compris. Le film raconte la prison, la façon dont elle grave dans les chairs des marques indélébiles et invisibles.
Il saisit le travail rigoureux d’un metteur en scène avec ces comédiens « extraordinaires ». Et surtout il raconte un voyage, celui qui va permettre à cette parole inconcevable de jaillir de l’ombre pour traverser les murs.

Bande Annoncehttps://www.youtube.com/watch?v=YiqvmTEp44w



Critique

Par Mathieu Perrichet - posté le 06/03/2018

Dans la lumière

Jamais deux sans trois. Après A côté (2008) et Mourir ? Plutôt crever ! (2010), la réalisatrice Stéphane Mercurio a de nouveau braqué sa caméra sur le monde carcéral. Et plus particulièrement sur d’anciens détenus lancés dans une aventure théâtrale hors norme. Car, Après l’ombre est en fait une sorte de making of de l’audacieuse pièce Une longue peine mise en scène par Didier Ruiz. Sur les planches, conviant les spectateurs à une incursion par delà les murs, Alain, Dédé, Eric et Louis racontent sans tabou le quotidien qui a été le leur dans ce lieu très méconnu, objet de nombreux fantasmes, qu’est la prison. La sexualité, la violence, les combines, le suicide, le manque de soin, l’ennui, les parloirs, etc. Tandis qu’Annette, la femme de Louis, revient, la gorge souvent nouée, sur les mois à attendre son conjoint. Sa colère, sa peur, sa souffrance, sa tristesse. Tous expriment avec justesse et franchise les conséquences - parfois irréversibles - d’un séjour prolongé derrière les barreaux. La difficulté de se réinsérer, de réapprendre à vivre à la sortie. Chacun de ces ex-taulards ayant passé près de la moitié de leur vie à l’ombre. Peu à peu, du point de vue des condamnés, on découvre comment fonctionne le système carcéral français. Un système grippé et peu reluisant. A travers la construction de ce spectacle donc, alors que les interventions s’affinent, que les anecdotes se précisent, on en apprend davantage sur ces cinq hommes et femme aux parcours pour le moins cahoteux, que la vie a amené, pour X ou Y raison, à emprunter de mauvais chemins. Surtout, on se retrouve face à des êtres foncièrement humains et sensibles. Des individus loin d’avoir été des enfants de chœur mais dont les témoignages forts ne peuvent laisser de marbre. Conscient des délits – sans connaître exactement leurs natures - dont ils se sont rendus coupables, la démarche peut sembler perturbante. D’abord dans la retenue, on hésite, on ne sait trop comment réagir face à ces comédiens amateurs au passé criminel. Puis, presque malgré soi, on se laisse rapidement envahir par une empathie naturelle à leur égard. Le regard change à leur écoute. On comprend à quel point, dans ce lieu de privation, d’entrave, la simple caresse d’un rayon de soleil, la vue d’un bout de champ peut soudain rendre extatique. Le film n’ambitionne pas de trouver des circonstances atténuantes à ces personnes, de les dédouaner de leurs fautes, mais rappelle simplement que les prisonniers restent des êtres humains… « Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons » disait l’écrivain Fedor Dostoïevski. La France, pays des droits de l’Homme, a du mouron à se faire… En 2017, 36 prisons hexagonales ont été condamnées pour conditions indignes de détention. Qu’on le veuille ou non, ce film s’avère aussi bouleversant que passionnant et mérite certainement que l’on s’enferme une heure et demie dans une salle de ciné.                   

Mathieu Perrichet


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