People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 08/02/2018

Rencontre avec Stéphane Mercurio et Didier Ruiz

Avec la fraîcheur, l’enthousiasme et la sincérité de ceux qui croient en ce qu’ils font, convaincus par leur engagement, le metteur en scène Didier Ruiz et la cinéaste Stéphane Mercurio ont chacun explicité leur démarche théâtrale et cinématographique, présentée à travers le documentaire Après l’ombre.

Pour commencer par le commencement, comment l’idée de monter une pièce donnant la parole à d’anciens détenus vous est parvenue ?
Didier Ruiz : C’est idiot, ça vaut 3 francs, 6 sous. En 2014, j’étais au festival d’Avignon et Bernard Bolze, cofondateur de l’Observatoire International des Prisons, est venu voir ma pièce qu’il a beaucoup aimée. Après la représentation, nous sommes allés boire quelques verres de rosé et il m’a confié qu’il trouverait intéressant de créer quelque chose autour des longues peines. Moi, je l’écoutais d’une oreille, entre les vapeurs d’alcool et un intérêt limité pour ce qu’il me disait sur le coup. Puis, un mois plus tard, alors que je m’apprêtais à rentrer de vacances en Turquie, j’ai été incarcéré et jugé en comparution immédiate. On m’accusait de trafic d’antiquités. J’ai été totalement blanchi mais j’ai pu découvrir ce qu’étaient les prisons. A mon retour en France, j’ai repensé aux propos de Bernard. Je l’ai appelé et lui ai dit que j’étais partant  pour monter une pièce sur les longues peines. C’est comme ça qu’Une longue peine est née.

Ensuite, quelle est l’origine de ce documentaire Après l’ombre ?
Stéphane Mercurio : Après m’être intéressée au monde carcéral, j’avais en tête de faire un film sur l’après prison mais il était, à l’origine, bien différent d’Après l’ombre. Pour entrer en contact avec d’anciens prisonniers, j’ai téléphoné à Bernard Bolze, qui s’occupe à présent de Prison-Insider. Il m’a alors suggéré de rencontrer Didier Ruiz qui allait justement commencer un travail avec d’anciens longues peines. Nous avons donc pris un café avec Didier et c’est à cet instant qu’il m’a dévié de mon but initial en me proposant de venir filmer la création de sa pièce. Tout de suite, le courant est passé entre nous et la confiance mutuelle qui s’est tissée laissait penser qu’une collaboration était possible. Il n’avait pas encore vu les anciens détenus mais j’étais persuadée que la parole de ces hommes serait puissante. Il y avait donc matière à faire un film. Mais j’ai d’abord imaginé faire simplement un court métrage.
Finalement, en découvrant Louis et Annette d’abord, puis les autres, je me suis dit qu’un long métrage valait la peine.
Didier Ruiz : Le tournage a duré 15 jours. Du premier jour des répétitions à la première représentation.

Comment avez-vous sélectionné vos cinq protagonistes ?
Didier Ruiz : C’est difficile de travailler avec des longues peines car, déjà, il y en a peu en France. C’est grâce à Bernard Bolze que j’ai pu en rencontrer quelques uns. Sur l’ensemble, je n’ai conservé que des gens capables de s’engager dans l’aventure car j’en ai vus certains qui étaient vraiment fragiles. La prison laisse des traces et il me fallait des gens solides, fiables. Ensuite, s’il n’y a pas de femme ex-détenue dans la pièce, c’est que 95% des longues peines sont des hommes. En revanche, je trouvais important de donner la parole à quelqu’un resté à l’extérieur, qui a attendu le retour d’une personne. Il me fallait ce regard, ce contre point. C’est pourquoi Annette est là.

A t-il été facile de les convaincre de rejoindre ce projet ?
Didier Ruiz : Seule Annette a accepté tout de suite ma proposition. Concernant Louis, il a fallu négocier, comme on peut le voir dans le film. Ca a été assez compliqué. Eric a été convaincu très vite également. Il avait juste une appréhension sur sa capacité à y arriver. Lorsque j’ai rencontré Alain à Marseille, il m’a tout de suite dit qu’il était un sauvage, qu’il ne faisait confiance à personne. C’est celui qui a le plus le trac.

Il s’agit de comédiens amateurs qui incarnent leur propres « rôles », quel a été le principal défi ?
Didier Ruiz : J’ai l’habitude de travailler avec des acteurs amateurs. Mais là c’était différent car pour la première fois, il s’agissait d’une aventure sur le long terme et sans texte. C’était un vrai pari. Le but était de montrer que c’était possible. Que la reproduction d’un tel spectacle pouvait fonctionner sans perdre sa fraîcheur, sa spontanéité. Il fallait que chaque représentation ait l’air d’être la première.

Comment vous y êtes-vous prise pour filmer un travail de théâtre ?
Stéphane Mercurio : Je ne devais pas me mettre à la place du spectateur de théâtre, sinon autant aller voir directement la pièce. Mais je ne devais pas non plus me mettre dans la peau de Didier. Il fallait que je me décale car le metteur en scène est aussi un personnage central du film. La question de la place et de la distance était primordiale. Je voulais que l’on soit dans l’intimité du groupe sans être intrusive. Après, j’ai surtout fonctionné à l’instinct. Nous avons beaucoup filmé pour ne pas louper le moment où les choses se révèlent, où il advient quelque chose. Ensuite, j’ai aussi utilisé des petits trucs : certains entretiens au début étaient dans des salles blanches ou autre, j’ai tendu un tissu noir pour unifier le tournage. J’ai imaginé ces temps de pauses en extérieur qui permettent de reprendre son souffle, de se poser avec eux. J’ai bien sûr travaillé la dramaturgie au montage. Un montage qui a été long pour restituer au mieux l’intensité de ce travail. Au final, il suit presque l’ordre du tournage : il épouse leur processus d’approbation, montre leurs craintes puis leur évolution dans une plus grande théâtralité, leur meilleure maîtrise de l’espace…

Avez-vous eu un droit de regard sur le montage final du film ?
Didier Ruiz : Je n’ai pas pensé une seule seconde à demander un droit de regard sur le montage de Stéphane. Une collaboration, c’est ne pas marcher sur les plates bandes de l’autre. Une vraie relation de confiance existe entre nous. En voyant le film, cela m’a troublé de me voir, de voir mon travail. Mais le regard de Stéphane est intéressant. Elle montre la cuisine, mais pas les gants Mappa. Elle était dans l’intime, mais elle le montre à l’écran avec beaucoup de tact, de retenue, de pudeur. Il n’y a pas de voyeurisme.

Il s’agit de votre troisième long métrage sur la prison. D’où vient votre attirance pour cette thématique ?
Stéphane Mercurio : Intimement je ne sais pas. C’est assez arbitraire je pense. La relation de pouvoir déclenche quelque chose de viscéral chez moi. L’aspect politique m’intéresse. La réflexion sur l’univers carcéral est dingue. La prison, c’est le degré zéro de la pensée. Cela fait deux siècles que l’on dit que la prison crée des criminels mais on ne fait rien. On ne change rien. Tandis que des pays vident leurs prisons, la France a doublé le nombre de ses détenus. Or, je ne crois pas qu’il y ait plus de crimes aujourd’hui. Ma démarche consiste donc à apporter une certaine réflexion sur le sujet, à humaniser tout cela. Je tente de contribuer au débat à ma manière, de faire bouger les lignes.

Pourquoi avez-vous choisi de ne pas vous attarder sur les délits commis par ces anciens détenus ?
Stéphane Mercurio : L’idée de ne pas évoquer explicitement les crimes – hormis les allusions aux braquages – vient du fait que dans le cas inverse, on serait retombé dans l’éternel débat : il pas assez pris, il a trop pris. On aurait été piégé, on n’aurait plus parlé de la prison et du traitement infligé aux détenus. Quelque soit ce qu’ils ont commis, ils doivent être traités humainement.
Didier Ruiz : La question qui se posait à chaque fois était : quel sens ça a de parler de cela ou cela ?

Les avez-vous incité à parler de certains sujets ?
Stéphane Mercurio : Non et c’est étonnant la façon dont ils parlent de sexualité. Qu’un mec comme Dédé, un vieux de la vieille du milieu lyonnais, accepte de parler librement de masturbation, de ses difficultés à avoir des relations sexuelles à sa sortie, ce n’est pas rien. C’est stupéfiant, qu’il se confie de la sorte. Tout était assez incroyable. Une réelle confiance s’est peu à peu installée et a permis cela. Ils se sont vraiment tous laissés embarquer dans l’histoire. Ils ont joué le jeu. Ils avaient envie de dire, pour témoigner et dans un souci de sincérité. Ils ont beaucoup donné.

Cette expérience théâtrale a t-elle changé leurs vies ?
Didier Ruiz : Le théâtre a permis de libérer la parole et il a effectivement changé leur vie. Socialement, familialement. Ils ont retrouvé une certaine place dans la société. Cela a enclenché un début de réhabilitation. La pièce aura été jouée durant 60 dates au total, ce qui est beaucoup quand on considère qu’en moyenne une pièce ne connaît que 5-6 représentations en France.

Quels sont vos projets ?
Stéphane Mercurio : Didier est reparti sur un projet et j’ai rempilé avec lui. Je filmerai de nouveau la construction de sa nouvelle pièce.
Didier Ruiz : Il s’agira de mettre en scène des hommes et des femmes non professionnels, de 22 à 60 ans, et transsexuels. Cette pièce interrogera l’identité. Elle aura pour objectif de montrer comment ces gens ont acquis leur liberté en changeant de genre. Ce sont des personnes bouleversantes. Et, à nouveau, dès le premier jour des répétitions, Stéphane était là.
Stéphane Mercurio : Entre ces deux projets communs, j’ai aussi réalisé un documentaire pour Arte, Petits arrangements avec la vie. Un film qui apprivoise la mort. Une tragi-comédie qui offre une réflexion autour de la vie et sa fin.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

A lire également

Après l'ombre
Après l'ombre

Sortie : 28/03/2018

Une longue peine, comment ça se raconte ? Le film raconte la prison, la façon dont elle grave dans les chairs des marques indélébiles et invisibles.