People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 24/09/2018

Rencontre avec Andréa Bescond et Eric Métayer

Malgré un sujet difficile - la pédophilie, c’est dans la joie et la bonne humeur que le duo de cinéastes Andréa Bescond et Eric Métayer nous ont présenté leur premier long métrage Les Chatouilles. Ovationné lors du dernier Festival de Cannes.

Comment l’idée de transposer votre spectacle Les Chatouilles ou la Danse de la colère au cinéma vous est venue ?
Eric Métayer : En fait, on nous l’a proposé.
Andréa Bescond : Mais avant même qu’on nous le propose, nous avions eu l’idée d’en faire un film car au niveau de la mise en scène, on sentait qu’il y avait quelque chose d’intéressant. Entre nous, au tout début, on rêvait que la pièce rencontre le succès, que l’on gagne un Molière, que l’on puisse en faire un film et que Karine Viard joue dedans. Et tout cela s’est réalisé puisqu’un jour, on est venu nous voir à Avignon et on nous a proposé le projet. Le fait que nous n’ayons jamais écrit de scénario ne leur a pas fait peur, au contraire.
Eric Métayer : En même temps, on est parti d’un spectacle très construit donc nous avions une bonne base de départ. Puis, nous sommes tous les deux cinéphiles.
Andréa Bescond : En revanche, nous ne sommes tellement pas habitués à écrire des scénarios que nous l’avons rédigé sur le logiciel Pages. Un truc pas du tout adapté.
Eric Métayer : On ne voulait pas prendre de cours car ce n’est pas évident, et cela nous permettait de casser les codes, les règles, de proposer des choses originales. Au final, on a fait ce film comme on le voulait.

A quel point le film diffère t-il ou non de la pièce ?
Andréa Bescond : C’est moi qui ai écrit la pièce et Eric qui l’a mise en scène. Dès le départ, pour le film, nous savions que nous voulions mêler le présent et le passé, comme dans le spectacle. De même, dans la pièce nous voulions éviter les noirs. Il fallait que tout s’enchaîne. Nous avons souhaité conserver cette idée pour le film en évitant au maximum les effets spéciaux. Nous voulions garder le côté théâtral.
Eric Métayer : Cela étant, beaucoup de choses ont changé entre la pièce et le film car nous avions envie d’avoir plus de personnages. Par exemple, nous avons intégré celui de Lenny afin d’évoquer les accompagnants.
Andréa Bescond : Nous voulions aussi développer certaines choses davantage. Montrer que révéler un viol pédophile a l’effet d’une bombe à fragmentation. Nous avions l’envie de mieux insister sur la notion de temps. Ce qui est plus compliqué au théâtre.

Et à quel point Les Chatouilles est-il fidèle à votre propre vie ?
Andréa Bescond : J’ai bien eu cette vie chaotique mais on a eu envie de se distancier de cette histoire, pour moi et ma famille. On a transformé pas mal de choses pour rendre le sujet plus universel.

Lorsque l’on réalise un tel film, espère t-on qu’il puisse contribuer à libérer la parole d’autres personnes ?
Andréa Bescond : Bien sûr. On souhaite que ça puisse contribuer à libérer la parole de femmes et d’hommes - car on tend à l’oublier mais les hommes aussi se font violer - ayant vécu la même chose. On espère que ça va aider des gens évidemment. On voit déjà des retours positifs. Hormis le film en lui même, j’espère surtout que l’on va se bouger sur l’enfance. Car au-delà des violences faites aux femmes, dont il faut évidemment parler et contre lesquelles ils faut agir, il faut aussi et avant tout penser aux enfants. Une agression sexuelle est un héritage qui peut parasiter une vie. Sans compter que, souvent, ces violences sont des incestes. Il est alors d’autant plus difficile pour les eux d’en parler. On a une vraie responsabilité en tant qu’adulte. J’écris actuellement un ouvrage pédagogique sur les violences faites aux enfants. Un livre qui se veut accessible, abordable, moins académique que d’autres bouquins sur le même thème. Et à cette occasion, j’ai appris que la racine du mot « enfance » vient du mot « silence ». C’est dingue. Il faut apprendre aux enfants à protéger leur intégrité. Leur faire comprendre qu’on n’a pas le droit de toucher à leur intimité. C’est notre rôle d’adulte de les protéger et de leur faire comprendre qu’on ne doit pas et qu’on ne peut pas les forcer. Il s’agit aussi de ne pas les faire culpabiliser si quelque chose du genre arrive.
Eric Métayer : Tout passe par l’enfance. Tant qu’il n’y aura pas de Ministère de l’Enfance, on ne s’en sortira pas. Tout commence par là.

Comment avez-vous choisi votre comédien pour incarner ce pédophile ?
Andréa Bescond : On ne s’est pas beaucoup posé la question pour le choix du comédien qui incarnerait Gilbert, le pédophile. Nous savions qu’il s’agissait d’un personnage brillant, beau, lumineux. Qui ne fait pas penser à un criminel lorsqu’on le voit. Et un jour le directeur de casting nous a parlé de Pierre Deladonchamps. Tout de suite, cela nous a sauté aux yeux. Il s’agissait du bon comédien pour nous.
Eric Métayer : Il a un peu réfléchi car c’est certain que pour l’image d’un acteur incarner un pédophile n’est pas quelque chose  d’évident. Mais le message derrière tout ça est tellement fort qu’il a décidé d’y aller. D’autant qu’il a lui même une petite fille et qu’il s’est dit qu’il était important d’en parler.

Comment êtes-vous parvenue à réaliser votre rêve d’enrôler Karine Viard ?
Andréa Bescond : Karine Viard est tout simplement venue voir notre pièce et elle a été subjuguée. Elle a été happée par le fond et la forme. Le lendemain, elle nous a appelé pour nous dire qu’elle était prête à incarner n’importe quel personnage mais qu’elle voulait absolument participer au film. Voilà comment notre rêve s’est réalisé. Tout simplement.

Malgré la dureté du propos, l’humour et la légèreté sont bien présents dans votre film. Pourquoi ce choix ?
Eric Métayer : Nous voulions absolument des moments de respiration. On ne voulait pas que ce soit un film plombant. On voulait de l’humour, de la vie, de l’énergie. La force de vie était essentielle.

Aviez-vous des références cinématographiques en tête au moment de vous lancer dans cette aventure ?
Eric Métayer : Nous avons plein de références. Je pense à Bunuel pour son délire, à Bergman, Fellini. Nous sommes fascinés par le cinéma de Ken Loach, qui est capable de parler de sujets graves tout en instillant de l’humour. Nous aimons beaucoup Gondry également, notamment Eternal Sunshine of the Spotless Mind avec cette notion de souvenirs. Toutefois, malgré notre goût pour les choses un peu fantaisistes, nous voulions que l’ensemble reste très réaliste. Même lorsque Odette se met à voler, on voulait que ça ait l’air réel. Nous ne voulions pas de choses caricaturales dans le jeu. Ni de personnages manichéens. Sur le même sujet que notre film, nous avons pensé à La Mauvaise éducation d’Almodovar ou bien à Sleepersde Barry Levinson.

Comment cela s’est passé sur le plateau pour votre première expérience derrière la caméra ?
Andréa Bescond : Il y a eu beaucoup d’écoute entre nous sur le plateau.
Eric Métayer : Il s’agit en fait de la rencontre de deux univers, pas si éloignés l’un de l’autre.
Andréa Bescond : Au niveau de la direction d’acteurs, on s’est partagé les comédiens. En tout cas, nous avons essayé d’instaurer une bonne ambiance, très humaine. On ne voulait pas plomber les choses. Nous avons pu compter sur un casting de qualité qui n’avait pas besoin de baigner dans une atmosphère particulière pour se mettre en condition et entrer dans leurs rôles.

Avez-vous envie de renouveler l’expérience ?
Andréa Bescond : On a choppé le virus de la réalisation, c’est certain. On a une idée d’un nouveau film. On est d’accord sur le propos, le sujet. Mais on ne préfère pas en parler pour le moment. On préfère savourer ce que l’on vit avec Les Chatouilles.
Eric Métayer : Cela étant, on aime le théâtre. On n’arrêtera pas pour autant. On s’apprête d’ailleurs à partir en tournée pour jouer un nouveau spectacle, adapté d’une pièce anglaise. Une comédie romantique, où il est question d’autisme Asperger.
Andréa Bescond : D’une manière ou d’une autre, on aime raconter des histoires.

Seriez-vous capable de réaliser un film sans message ?
Andréa Bescond : On a du mal avec le divertissement pur. On a toujours besoin qu’il y ait un propos, un sujet derrière. Il y a tant de choses à dire sur les violences humaines.
Eric Métayer : On est porté dans notre vie par des sujets qui transparaissent toujours dans ce que l’on fait. Nos vies sont politiques, donc nos créations aussi.
Andréa Bescond : Il y a beaucoup de choses à dénoncer et à défendre dans la vie.
Eric Métayer : C’est une sorte d’acte citoyen. Et je crois plus dans l’action citoyenne que l’action politique en général.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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