People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 24/11/2017

Rencontre avec Éric Barbier

C’est dans un salon cossu d’une brasserie nantaise, un vendredi soir de fin d’automne alors que les illuminations de Noël venaient tout juste de prendre vie, que le réalisateur Eric Barbier – entre une rencontre avec des lycéens puis une autre avec le public – nous a accordé un moment pour discuter de son nouveau film, une ambitieuse adaptation de La Promesse de l’aube de Romain Gary.

Comment vous est venue l’envie de transposer à l’écran ce célèbre roman de Romain Gary ?
C’est un faisceau d’événements qui m’a conduit à réaliser ce film. Le producteur Eric Jehelmann avait très envie d’adapter ce roman au cinéma depuis longtemps. Alors lorsque les droits du livre se sont libérés, il est venu m’en parler. Pour ma part, j’avais lu trois ouvrages de Romain Gary lorsque j’étais jeune. Ses deux prix Goncourt : Les racines du ciel et La Vie devant soi signé de son pseudonyme Emile Ajar. Ainsi que La promesse de l’aube dans lequel j’ai du me replonger.

Quelle vision avez-vous de Romain Gary ?
Romain Gary a eu une vie extraordinaire. Il a écrit des livres, fait des films, a été consul, a beaucoup voyagé. Il a eu une existence pleine, entière, durant laquelle il a fait des choix, parfois avant-gardistes. C’était un personnage romanesque, énigmatique, le mari de Jean Seberg et l’orchestrateur de cette formidable mystification littéraire qu’a été l’affaire Emile Ajar. Romain Gary était double, triple, multiple. Selon moi, le travail d’un metteur en scène est d’aimer les personnages qu’il filme quels qu’ils soient.

Avez-vous accepté la proposition tout de suite ?
J’ai hésité car s’engager dans une telle aventure vous met un poids sur les épaules. Il ne fallait pas trahir le roman, un immense classique connu de tous, tout en parvenant à le traduire cinématographiquement. J’ai ainsi beaucoup réfléchi à la façon de transposer de la littérature au cinéma. Mais j’ai finalement accepté assez vite.

Qu’est-ce qui vous a convaincu ?
C’est une histoire passionnante, un véritable livre d’aventure. Pour un réalisateur, c’est forcément très plaisant de réaliser de tels films avec des voyages à travers différents pays. On découvre plein de choses. Par ailleurs, c’est une histoire qui parle à tout le monde et qui est toujours d’actualité en 2017 puisqu’au delà de la simple relation mère-fils, le centre de l’histoire est la vengeance. C’est le récit d’un enfant qui venge sa mère. On a tous vécu une expérience dans notre jeunesse durant laquelle on découvre que nos parents sont également vulnérables. En fait, nous avons tous une dette envers notre mère.  

Cette histoire est-elle un biopic ou une fiction ?
Ce n’est pas un biopic mais bien l’adaptation d’un roman. Romain Gary lui-même décrivait son livre comme une « biographie sensationnelle, hommage à toutes les mères ». En clair, 50% du livre est inventé. Après, c’est le propre des grands écrivains de partir de choses intimes pour raconter des histoires. Il y a donc beaucoup de son vécu aussi.

A quel point êtes-vous resté fidèle au roman ?
La Promesse de l’aube est un roman d’aventure initiatique qui retrace 20 ans de la vie de Romain Gary et de sa mère. L’ouvrage est donc extrêmement dense et il a fallu trouver une forme scénaristique adéquate afin de conserver son essence tout en le réduisant de ses deux tiers. J’ai du prendre ainsi quelques libertés sur le côté temporel pour rentrer dans la trame cinématographique. Mais sans cesse, je me suis demandé quand la trahison était acceptable et quand elle ne l’était plus. Je voulais être absolument fidèle à l’esprit du roman. Il était également important de parvenir à traduire au mieux par l’image la langue de Romain Gary. Je voulais que l’on retrouve son écriture dans le film, d’où notamment la présence de la voix off. D’ailleurs, je me suis aussi beaucoup appuyé sur son écriture de manière générale pour rédiger mon scénario. J’ai beaucoup travaillé autour de son style. Mais parfois, je m’en suis éloigné car j’avais besoin de prendre quelques libertés par rapport au livre.

Que pensez-vous de la première adaptation réalisée par Jules Dassin en 1970 ?
Son adaptation est très différente de la mienne, plus fantasque. Jules Dassin s’était davantage concentré sur les fantasmes de la mère, ses délires. Il insistait particulièrement sur sa vie à elle, sur le côté « comédienne » de celle-ci. Ainsi, son film se déroule dans le monde du théâtre en Russie. A mes yeux, ce long métrage est très éloigné de la perception que j’ai du roman qui me semble bien plus mélancolique et sombre. Ce qui m’intéressait pour ma part, c’était l’interconnexion, la promesse que la mère et le fils se sont faite.

Comment avez-vous pensé à Pierre Niney pour incarner Romain Gary ?
Dès que j’ai eu terminé l’écriture, Pierre Niney – que j’avais déjà vu au théâtre et au cinéma - s’est imposé tout de suite pour incarner Romain Gary. Selon moi, il était le seul, par son talent et son physique, à être capable de porter toutes les périodes du film. Je voulais quelqu’un qui ait de la profondeur, qui arrive à donner quelque chose d’intime. Qui ne soit pas que technique. Puis, je l’ai rencontré et j’ai alors appris qu’il était un grand admirateur de Romain Gary. Cela faisait donc d’autant plus sens. Je ne me suis pas senti obligé de choisir quelqu’un qui ressemblait à Romain Gary. Je cherchais davantage du côté des émotions, de son aspect caractériel. Pierre Niney est très jeune mais il est d’une maturité impressionnante. C’est quelqu’un qui échange beaucoup et qui a proposé des choses brillantes pour le film.

Qu’en est-il du choix de Charlotte Gainsbourg pour interpréter la mère ?
Pour Charlotte Gainsbourg, on se connaissait depuis longtemps car j’avais déjà fait tourner à deux reprises son compagnon Yvan Attal. Et j’avais très envie de travailler également avec elle. Un jour, alors que je lui avais parlé de ce nouveau projet de manière informelle, elle m’avait témoigné de son intérêt. Du coup, je suis allé la voir à New York où elle vit et nous avons lu le scénario ensemble. Nous avons ensuite beaucoup discuté. Charlotte s’est mise à questionner les scènes, le pourquoi et le comment des personnages et des situations, le contexte historique, etc. Elle m’a montré des photos de sa propre famille, de sa grand-mère russe, qui comme Nina avait fait le voyage vers la France. Je voyais qu’elle avait une compréhension intime du personnage. Cette rencontre a rendu les choses très claires pour moi. Il fallait qu’elle incarne la mère. Sans aucun doute. Elle, avait une crainte car physiquement Charlotte est évanescente et ne correspond pas vraiment à ce que Nina est, à savoir une ouvrière. Mais le rôle la touchait tellement que nous avons effectué tout un travail physique notamment avec des costumes, des prothèses, etc. Au final, je n’ai pas vu Charlotte pendant les 14 semaines de tournage tellement elle était transformée. C’était impressionnant la façon dont elle a réussi à donner du fond à cette construction.

Aviez-vous des références en tête au moment de l’écriture ou du tournage ?
A part le roman lui-même, je n’avais pas vraiment de référence en tête si ce n’est une. Le film qui m’a en effet le plus aidé à réfléchir à ce que je voulais est Little Big Man de Arthur Penn. Il m’a beaucoup aidé scénaristiquement car La Promesse de l’aube et lui partagent plusieurs points en commun : une trame narrative picaresque, des situations foisonnantes, une histoire sur la durée, la voix off et des émotions multiples.

Avez-vous d’ores et déjà de nouveaux projets ?
Je travaille en ce moment sur l’adaptation de Petit pays, le roman de Gaël Faye, Goncourt des Lycéens en 2016.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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