People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 21/09/2017

Rencontre avec Lorraine Levy

Avec Knock, Lorraine Levy propose une adaptation libre de la pièce de Jules Romains, transformant une œuvre plutôt sombre en une comédie plus humaniste.

Quand vous est venue l’idée d’adapter cette pièce de Jules Romains ?
Cela m’a pris 8 ans à concrétiser ce projet. Malgré mon désir, cela a été très difficile à monter car adapter nos grands textes fait encore peur en France. J’ai écrit seule le scénario et je n’avais pas les moyens d’acheter les droits de la pièce qui n’est pas encore tombée dans le domaine public. Du coup, lorsque je suis parvenue à une première version du scénario, je suis allée chez Gallimard et leur ai expliqué que je voulais que ce film existe et pouvoir travailler dessus sereinement. Ainsi, je leur ai proposé de lire mon scénario et d’accepter une somme symbolique en guise d’option pour bloquer les droits si celui-ci les satisfaisait. Dans le cas contraire, cela m’aiderait à oublier le projet. Finalement, cela leur a plu et ils ont convaincu l’ayant droit de Jules Romains.

Qu’a pensé ce dernier du résultat final, sachant que vous proposez une adaptation plutôt très libre ?
Lorsqu’il a vu le film, il a été très heureux du résultat car il m’a dit que j’avais modernisé l’ensemble sans trahir l’auteur.

Il s’agit de la quatrième adaptation au cinéma de cette pièce. Cela met-il une pression particulière ?
La dernière adaptation a été réalisée il y a 67 ans donc le terrain était vraiment libre pour moi. Puis les trois premiers films – sortis dans un laps de temps très réduit - étaient très fidèles à la pièce alors que, pour ma part, j’ai ouvert les portes et les fenêtres tant sur le fond que sur la forme. La pièce originale (1923) est sombre et évoque, 3 ans après la création du parti d’Hitler, la montée du nazisme. Derrière le rire de façade, on ressent l’angoisse de l’auteur qui voit se profiler une immense menace. Pour imposer au monde leurs idées abjectes, les nazis ont fait dire à la science ce qu’ils voulaient, ils jouaient sur la crédulité des gens et la fascination pour un tyran mégalomane. Mon Knock se veut plus solaire, humaniste, avec un héros plus faillible et humain comparé au personnage cruel et sans pitié de la pièce. Je qualifierai mon film de comédie ambiguë. Je ne voulais pas d’une vision noire de l’humanité. Jules Romains en avait une mais le contexte d’alors le voulait et la suite de l’Histoire lui a donné raison. De mon côté, je voulais parler du vivre ensemble et du bien vivre ensemble. Ainsi, je me suis davantage intéressé à la place de l’étranger – et je ne parle pas forcément de la couleur - dans la cité afin de rendre la problématique plus contemporaine. Je voulais moderniser le propos.

Pourquoi avez-vous décidé de placer l’intrigue dans les années 50 ?
Je voulais m’éloigner de la période monstrueuse de l’Histoire qu’ont été les années 20. J’ai donc décidé de situer mon film dans les années 50 car il s’agit d’une époque qui me passionne et dont j’aime beaucoup l’esthétique. Par ailleurs, tout en modernisant le contexte, il fallait malgré tout conserver le côté vintage. Il aurait été compliqué de situer l’intrigue aujourd’hui car nous sommes moins crédules, notamment grâce aux outils à notre disposition.

Vous avez placé quelques allusions à plusieurs tirades politiques bien connues (Macron, Sarkozy, etc), pourquoi ?
En effet, je me suis amusée à faire quelques allusions à la politique – peut importe le bord – car cela m’amusait et que Knock pourrait très bien, de nos jours, être un homme politique dans sa manière de séduire, de convaincre…

Comment avez-vous pensé à Omar Sy pour incarner Knock ?
Je voulais un Knock libre, tourné vers l’autre, rayonnant et Omar Sy est un comédien solaire, moderne, qui permet de rompre avec le passé. J’ai très vite pensé à lui au moment de l’écriture. Il était le comédien idéal pour redonner une virginité à Knock et l’emmener vers plus d’humanité. Il dégage à la fois de la force et de la fragilité. Puis, je trouvais intéressant d’avoir un comédien noir qui joue un personnage blanc à l’origine car sa couleur ne m’importait pas. Je ne voulais pas mettre cela en avant. Dans le village, il est perçu comme différent mais les habitants n’arrivent pas à trouver pourquoi, ils ont chacun leur idée mais ne parviennent pas à identifier cette différence.

Comment avez-vous confectionné le reste de votre riche casting ?
J’ai choisi tous les comédiens avec passion car il faut avouer que c’est un casting de rêve. Venant du théâtre, je voulais une troupe autour d’Omar Sy. J’ai très vite pensé à certains acteurs. Puis, pour les autres, nous avons procédé par casting afin de trouver des comédiens compatibles car lorsque l’on fonctionne avec une troupe, il est important qu’il y ait une alchimie, que les choses fonctionnent bien.

Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Concernant mes inspirations pour ce film, j’évoquerais un certain cinéma de Gérard Oury comme La Folie des grandeurs ou même La Grande Vadrouille. De manière générale, je suis une grande amoureuse de Jacques Tati. Il est l’un de mes maîtres. J’aime également beaucoup Franck Capra et Milan Ljubic car leur cinéma est très humaniste. J’aime retrouver la part d’humanité des choses. Puis, alors qu’il a été très décrié, j’aime le cinéma burlesque.

Vous qui êtes également une dramaturge, écrire une pièce et un film, est-ce similaire ?
Entre le cinéma et le théâtre, ce sont deux façons d’écrire très différentes. L’écriture pour le théâtre est peut être plus rigoureuse car il n’y pas d’image. C’est le règne du mot, du verbe mais aussi du silence. Le cinéma doit être plus énergique. Tchekhov est mon grand maître du théâtre. J’aime beaucoup sa mélancolie mais jamais je n’y toucherai. Je ne touche pas à mes maîtres. Cela étant, le cinéma comme le théâtre sont fait pour rêver la vie.

Quels sont vos projets ?
J’ai plein de projets. J’ai notamment une idée originale de film qui sera très différent de celui-ci. J’aime explorer, découvrir. Côté théâtre, je n’ai rien de concret pour le moment mais le cinéma ne me fera jamais renoncer au théâtre.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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