People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 06/03/2018

Rencontre avec Maryam Touzani et Nabil Ayouch

En couple à la ville, co-scénaristes de Razzia, elle comédienne, lui réalisateur, Maryam Touzani et Nabil Ayouch sont venus présenter leur premier film écrit ensemble.

Le film est déjà sorti au Maroc. Quel accueil a t-il reçu ?
Nabil Ayouch : Au Maroc, il y a ceux qui veulent vraiment le voir, et ceux qui ne veulent absolument pas. Les avis sont très tranchés. Ce sont surtout les jeunes qui sont venus en masse jusqu’à présent. C’est d’ailleurs très émouvant de voir cette jeunesse un peu déboussolée accordée un tel intérêt à ce film qui la concerne. En fait, c’est en raison du lien brisé par Much Loved, mon précédent film, que j’ai souhaité sortir Razzia en premier au Maroc.

A t-il été facile, justement, de se remettre au travail après la déferlante Much Loved ?
Nabil Ayouch : L’écriture de ce film a été très salvatrice. Cela a guéri une blessure, une incompréhension. Ca nous a extirpé d’une situation compliquée. Alors que nous étions prêts avec Maryam à tout quitter suite à la sortie de Much Loved et aux réactions que cela a engendrées, ce nouveau long métrage nous a permis de nous rendre compte de l’attachement viscéral que nous avons pour le Maroc et cette société.

Pouvez-vous expliquer le titre Razzia ?
Nabil Ayouch : Le titre fait référence à une hégémonie culturelle qui a commencé au début des années 1980, comme je le montre dans le film. L’état a par exemple voulu supprimer le berbère au profit de l’arabe, etc. Puis cela fait référence aux mouvements sociaux de 2015 avec les nombreuses manifestations qui ont secoué le pays.

Pour décrire la situation du Maroc, vous vous intéressez aux destins de cinq individus différents. Pourquoi ce choix ?
Nabil Ayouch : Je fais un cinéma de personnages. C’est ce qui m’importe. Lorsque je fais un film, ce n’est qu’une fois que j’ai les protagonistes bien en tête que la structure se met en place. Ensuite, je crois en l’humain et en l’intime. Je ne crois plus aux politiques. Je crois aux actions personnelles, à la résistance à petite échelle. Les grandes révolutions partent de l’intime.

Comment avez-vous construits ces personnages si marquants ?
Nabil Ayouch : Il s’agit de personnages qui ont jalonné mon parcours depuis que je vis à Casablanca. Ce sont des gens que j’ai rencontrés, observés et que j’ai tamisés par la fiction. Pour quatre d’entre eux du moins. Le professeur me vient de mes années d’enfance à Sarcelles. Il fait référence aux héros de ma jeunesse, à des éducateurs de MJC, qui ont fait ce que je suis devenu.

Maryam Touzani, que pouvez-vous dire sur Salima, le personnage que vous incarnez ?
Maryam Touzani : Dès le début, Nabil avait en tête le personnage de Salima. Au moment de l’écriture, j’ai apporté ma pierre à l’édifice via mon expérience, ma propre vision de l’espace public. C’est particulier car c’est en le construisant que l’idée que je joue ce personnage a fait son chemin. Si au fond de moi j’avais quelque part envie d’être cette femme, car elle me ressemble beaucoup, je ne m’imaginais pas l’incarner. Quand Nabil m’en a parlé j’ai eu très peur. D’abord parce que je n’avais jamais joué. Ensuite car je ne voulais pas le décevoir en n’étant pas à la hauteur de ce personnage que nous avions écrit ensemble. Finalement, j’ai passé un essai et cela s’est avéré concluant. Je me suis donc lancée, un peu effrayée, mais avec une formidable envie d’exprimer ce que je ressens à travers elle, poursuivant sur le tournage le travail commencé dans l’écriture.

Cela vous a t-il donné envie de renouveler l’expérience comme comédienne ?
Maryam Touzani : J’ai beaucoup aimé cette expérience. J’ai pris un réel plaisir à transmettre des émotions à travers ce personnage. Je crois que l’on peut dire qu’une vocation est née.

Il s’agit de votre premier film choral, quelles sont les principales difficultés de ce type de longs métrages ?
Nabil Ayouch : Un film choral pose la question à l’écriture des liens invisibles qu’il doit y avoir entre les personnages.
Maryam Touzani : L’important est de faire en sorte que chaque personnage existe réellement par lui-même, soit suffisamment étayé.

L’autre personnage principal est la ville de Casablanca…
Nabil Ayouch : Exactement. La ville joue un vrai rôle dans ce film. Nous habitons à Casablanca depuis 1999. Depuis que je suis venu m’installer au Maroc en fait. C’est vraiment ma ville. J’aime y vivre et en parler.

Pourriez-vous tourner un film ailleurs qu’au Maroc à l’avenir ?
Nabil Ayouch : Le Maroc reste mon territoire de cinéma de prédilection. J’ai très envie de parler de la France - le pays dans lequel j’ai vécu le plus longtemps, de Sarcelles, de ce que j’ai connu dans ma jeunesse, mais je n’y arrive pas. Ca ne vient pas. Je ne trouve pas la bonne formule. Alors que le Maroc continue de m’inspirer. Casablanca me séduit toujours autant. Tant que j’ai encore des choses à dire, je continue donc.

Votre film se déroule essentiellement en 2015 mais son point de départ se situe en 1982. Pourquoi un tel choix ?
Nabil Ayouch : Entre ces deux époques il y a quelque chose de commun : une incapacité à rêver. Les gens ne s’autorisent plus à rêver. Le rêve est pourtant essentiel mais les jeunes ont abdiqué. C’est avant tout dû au poids de la société et de la famille, mais aussi à l’école qui n’a pas joué son rôle. L’idée était de montrer la différence entre la vie que l’on a et celle que l’on désire, que l’on fantasme.

Avez-vous effectué un important travail de recherches pour ce film ?
Nabil Ayouch : A l’occasion de tous mes films, j’ai toujours effectué un important travail anthropologique, de recherches, pour me nourrir et être le plus proche de la réalité. Avec Razzia, cela a été différent car il s’agit de mon premier film somme. Il ramasse finalement ce que j’ai fait auparavant. Par ailleurs, je ne voulais pas être dans du naturalisme total. Je voulais quelque chose d’épique, dessiner la fresque d’une époque.

Travaillez-vous avec la même équipe sur chacun de vos films ?
Nabil Ayouch : J’ai toujours cru à l’idée de la famille dans le cinéma. Le cinéma est une aventure collective. Mais c’est Much Loved qui m’a fait prendre conscience de cela réellement. J’ai mis des mots après les difficultés que j’ai connues avec ce film. Des personnes de l’équipe ont continué à m’accompagner même dans cette situation délicate et cela a compté pour moi.

Quelles sont vos références cinématographiques ?
Nabil Ayouch : J’aime beaucoup le cinéma de Robert Altman, de Ken Loach. Mais j’aime tellement de choses que ça m’embête d’en citer que quelques uns car ce serait réducteur.

Avez-vous reçu des subventions de la part des instances marocaines pour monter ce film ?
Nabil Ayouch : Non. Nous n’avons pas eu d’aides de la part des autorités marocaines qui ne financent que des films inoffensifs. D’une certaine façon, cela me rassure car cela prouve que mes longs métrages ont un certain intérêt. La France, la Belgique, ainsi qu’une chaîne de télévision marocaine courageuse, ont permis d’obtenir les fonds nécessaires à la réalisation de Razzia.

Vous êtes également producteur. Qu’est ce que cela implique principalement pour vous ?
Nabil Ayouch : Mon travail de production consiste à découvrir de nouveaux talents comme Hicham Lasri et de leur donner la parole au plus vite. L’idée de transmission m’intéresse énormément. J’ai d’ailleurs créé une movie factory dans le sud du Maroc pour y monter des films de genre que l’on ne trouve habituellement pas dans le pays.

Tandis que vous Maryam Touzani, vous êtes aussi réalisatrice…
Maryam Touzani : En effet. J’ai déjà réalisé deux courts-métrages ainsi que des documentaires. Là, je m’apprête à tourner mon premier long-métrage. C’est un film que je porte en moi depuis 10-12 ans. Cela parle d’une mère célibataire contrainte de donner son enfant à une autre femme car élever un bébé hors mariage est mal vu au Maroc. Il s’agira d’un huis clos entre trois personnages.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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Razzia
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Sortie : 14/03/2018

A Casablanca, entre le passé et le présent, cinq destinées sont reliées sans le savoir. Différents visages, différentes trajectoires, différentes luttes mais une même quête de liberté.