People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 01/09/2017

Rencontre avec Michel Hazanavicius et Louis Garrel

Dans Le Redoutable, le réalisateur Michel Hazanavicius dévoile, sur fond de printemps soixante-huitard, un pan de la vie de l’iconique cinéaste Jean-Luc Godard interprété par Louis Garrel.

Comment l’idée de réaliser ce film a t-elle germée ?
Michel Hazanavicius : C’est en lisant par hasard le livre Un an après de Anne Wiazemsky, la femme de Jean-Luc Godard à l’époque du film que l’idée m’est venu de faire un long métrage sur le sujet. J’ai lu le bouquin d’une traite et en le refermant j’ai tout de suite eu très envie de raconter cette histoire. J’y voyais une vraie possibilité d’en faire une comédie en jouant avec les styles, les esthétiques. J’imaginais un film joyeux et joueur.

A t-il été facile de convaincre Anne Wiazemsky ?
Michel Hazanavicius : Lorsque j’ai appelé Anne Wiazemsky pour lui demander les droits, elle avait déjà refusé à plusieurs offres d’adaptation car elle ne tenait pas à ce que son livre devienne un film. Mais quand je lui ai indiqué que je l’avais trouvé très drôle et donc mon intention d’en faire une comédie, elle m’a rétorqué qu’elle aussi le trouvait drôle mais que jusqu’à présent personne ne lui en avait fait la remarque. Du coup, mon approche légère l’a finalement convaincu de me confier les droits.

Cela a t-il tout de suite été évident de traiter cette histoire sous la forme de la comédie ?
Michel Hazanavicius : Oui car le livre m’a vraiment fait rire. Godard est quelqu’un de drôle : il est maladroit, casse ses lunettes, bafouille… Par ailleurs, j’aimais l’idée de « descendre » cette figure mythique de son piédestal. Plus un homme est respecté, plus il est facile de le décaler et de le rendre comique. J’ai donc essayé de manier l’ironie, de me moquer mais sans méchanceté aucune. Cela a permis d’apporter une certaine distance vis-à-vis du personnage. Jeux de mots, running gag, comique de situation, dialogues… Je voulais plusieurs couleurs de comique. En règle générale, je cherche à faire des films populaires dans le sens accessible et potentiellement marrant.

A quel point êtes-vous resté fidèle au livre ?
Michel Hazanavicius : Je ne me suis rien interdit. J’ai vraiment pris toutes les libertés que je voulais. Après, c’est à l’instinct que l’on se limite ou non. Par exemple, Mai 68 a peu été représenté par le cinéma français et j’avais à cœur de montrer ce bouillonnement. J’avais envie d’y mettre un souffle, des couleurs, de l’élan, de la joie. Ce mouvement représente une façon assez idéale de montrer la politique. C’est sexué, c’est joueur… C’est une manière de faire proche de la vie, pas juste une théorisation froide. Je voulais vraiment rendre compte de cela. Je ne voulais pas maltraiter cette période, je voulais rendre hommage à cet esprit libertaire. Il était important de respecter cette énergie, mettre en scène les foules, cette jeunesse, ces visages, ces slogans. J’aime en 2017 le fait de donner à voir cette envie de changer les choses, cette fraîcheur inhérente à Mai 68. Puis, de représenter cela au premier degré permet de créer un décalage avec le personnage de Godard et donc d’insérer là encore de la comédie.

S’embarquer dans un film sur Jean-Luc Godard met-il la pression ?
Michel Hazanavicus : Je n’ai pas de religion sur lui, je ne suis pas un de ses fervents admirateurs. Même si je suis conscient qu’il y un avant et un après Godard, l’idée de faire un film sur lui ne me serait jamais venue à l’esprit avant de lire le bouquin. Du coup, je me suis senti très libre en faisant ce film. J’ai agi de manière décontractée, sans ressentir de pression ou d’intimidation du fait d’aborder la vie de ce cinéaste.

L’avez-vous contacté ?
Michel Hazanavicus : Je lui ai envoyé le scénario et une lettre mais il ne m’a jamais répondu. Fidèle à lui-même…

Louis Garrel, qu’évoque Jean-Luc Godard pour vous ?
Louis Garrel : Pour moi qui ait 34 ans, lorsque je me suis fait ma culture cinématographique, je me suis assez vite rendu compte que Godard avait influencé un grand nombre de réalisateurs partout dans le monde. Il est une figure du faire différemment, le déclencheur d’un vent de liberté sur le cinéma. Il a apporté de la modernité à ce milieu.
Michel Hazanavicius : Nos deux visions différentes de Godard nous ont permis de construire le personnage. Louis voulait séduire les spectateurs qui adorent Godard et moi ceux qui ne l’aiment pas ou n’en pensent rien. Louis était le garant d’un vrai respect pour lui, tandis que j’avais tendance à le tordre davantage pour améliorer mon Jean-Luc de fiction. Au final, le personnage est un croisement entre le vrai Godard, la vision qu’en a eue Anne Wiazemsky, la mienne et l’incarnation de Louis. De toute façon, il ne s’agissait pas de faire croire que l’on voyait Godard à l’écran mais bien de montrer que quelqu’un d’autre incarne le cinéaste. Cela permet une certaine distanciation et crée un décalage comique.

Pour autant, Louis Garrel, vous allez jusqu’à reprendre le chuintement si particulier de Godard. Comment vous y êtes-vous pris ?
Louis Garrel : Je n’ai pas vraiment travaillé, c’est plutôt un « don » d’acteur. En regardant, en observant les gens, je capte assez bien les choses et je suis capable de reproduire plutôt facilement les attitudes notamment. Rapidement, je peux avoir le personnage en moi en retrouvant la rythmique, la voix, la gestuelle, la posture de quelqu’un. Cela a un aspect assez vertigineux d’ailleurs et parfois on s’y perd. Mais du coup, j’aurais du mal à expliquer comment j’ai réussi à m’accaparer ce chuintement propre à la voix de Godard.
Michel Hazanavicius : En tout cas, j’avais déjà entendu Louis à la radio imiter parfaitement bien Godard avant même le film donc je savais qu’il avait ce don là.

De manière générale, comment avez-vous travaillé pour peu à peu revêtir le costume de Godard ?
Louis Garrel : Cela a été un gros travail en amont avec Michel. Pas à pas, en lisant le scénario, on a discuté de chaque scène, décortiqué les choses. On a beaucoup échangé sur nos visions respectives, on a tâtonné, cherché ensemble. Puis, après, on s’est intéressé aux signes distinctifs de Godard : ses lunettes, ses cheveux, puis sa voix, ses vêtements. On a peu à peu construit notre Godard. Nous voulions éviter le côté conventionnel du biopic et je trouve que Michel a trouvé la bonne distance dans ce film au niveau du jeu avec une dimension ironique, un certain recul qui évite l’effet nostalgie.

Peut-on réellement parler de biopic ?
Michel Hazanavicius : Le film parle juste d’un moment précis de la vie de Godard. Il n’a pas la prétention d’être un film définitif sur sa vie. C’est avant tout un film sur une histoire d’amour entre une femme et un homme qui s’avère être Godard. Je n’avais pas envie de faire une thèse sur lui ou un biopic conventionnel et Le Redoutable ne s’adresse pas du tout aux spécialistes du cinéaste mais bien à tout le monde. Pour moi, le meilleur biopic est Raging Bull car il obéit à des règles de narration. Ce qui compte c’est que cela marche au niveau du scénario, que ce soit cohérent. J’aime aussi beaucoup Citizen Kane qui est le biopic d’un personnage fictif…
Louis Garrel : En général, le biopic à quelque chose de très premier degré assez étrange et ce n’est pas ce que Michel souhaitait.

Pourquoi avoir choisi Louis Garrel pour interpréter Jean-Luc Godard ?
Michel Hazanavicius : Louis a su amener toute une gamme de nuances pour humaniser le personnage. Mais plus profondément, il porte en lui quelque chose qui le rend crédible dans ce genre d'univers, avec ce genre de problématique, ce vocabulaire. Au-delà de Godard, on peut voir qu'il comprend ce qu'il dit. Il a à la fois un côté élitaire, très pointu, et un potentiel comique énorme, qui convient parfaitement au cinéma populaire que j'aime faire.

Louis Garrel, qu’avez-vous pensé lorsque Michel Hazanavicius vous a proposé ce rôle ?
Louis Garrel : Je me suis que ce n’était pas possible, que ce n’était pas faisable. Mais lorsque j’ai lu le scénario, ça a tout changé. Plus je lisais, plus j’étais énervé contre moi car j’aimais ça. Je retrouvais l’univers de Michel fait de détournement, de fantaisie, d’ironie. Puis je sentais que je m’entendrais bien avec lui…

Et comment avez-vous pensé à Stacy Martin pour incarner Anne Wiazemsky ?
Michel Hazanavicius : Alors que je cherchais une jeune actrice, c’est Bérénice Béjo qui m’a parlé d’elle car elles avaient déjà joué ensemble dans The Childhood of a leader de Brady Corbet. Je l’ai donc appelée, elle est venue faire des essais et ce choix s’est imposé comme une évidence. Elle ressemble à un jeune femme des années 1960, son visage a quelque chose d’intemporel qui me plait. Il y a une sorte de beauté tragique sur celui-ci, un peu distante. Elle a un visage de films muets sur lequel on peut greffer plein de sentiments, de nuances.

Pourquoi avez-vous choisi d’intituler votre film Le Redoutable ?
Michel Hazanavicius : La métaphore du sous-marin était déjà présente dans le livre de Anne Wiazemsky mais l’idée d’en faire le titre vient de moi. J’aime son côté belmondesque mais aussi le fait que ce mot puisse s’entendre de façon positive et négative, c’est un terme à double tranchant qui me plaisait.

Comment le film a t-il été reçu lors de sa présentation à Cannes ?
Michel Hazanavicius : La réception à Cannes a été très bonne dans l’ensemble, tant du côté des journalistes que des spectateurs. En général, les gens ressortent contents de la salle. D’autant que le côté Godard peut un peu refroidir, intimider de prime abord mais finalement lorsque l’on voit le film, on se rend compte que celui-ci est simple et amusant.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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Sortie : 13/09/2017

Paris 1967. Jean-Luc Godard, le cinéaste le plus en vue de sa génération, tourne La Chinoise avec la femme qu'il aime, Anne Wiazemsky, de 20 ans sa cadette.