People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 04/09/2017

Rencontre avec Ruben Östlund

Récompensé par la Palme d’or lors du dernier Festival de Cannes, le cinéaste suédois Ruben Östlund propose une satire acerbe de nos sociétés dans The Square.

Comment vous est venue cette idée de réfléchir sur les valeurs de notre monde, de poser un regard critique sur notre société ?
En 2011, j’ai réalisé un film intitulé Play dans lequel je mettais en scène de jeunes garçons s’étant mis à en racketter d’autres à Göteborg entre 2006 et 2008. Cela s’était produit à plus de quarante reprises. Ils procédaient par le biais d’un savant jeu de rôles n’impliquant aucune violence. Ainsi, il s’agissait de montrer comment les adultes témoins de cela pouvaient agir pour se rendre responsables et empêcher que cela se poursuive. De là est finalement née l’idée de réaliser un film sur l’humanisme.

Comment avez-vous pensé à cette œuvre d’art The Square ?
L’idée de départ était d’imaginer un espace à la manière du passage piéton. Ce dernier n’est ni plus ni moins composé que de quelques bandes blanches sur lesquelles a été mis en place très simplement un accord entre piétons et automobilistes. Dans le film, le carré permet de créer un nouvel accord de ce type à l’intérieur duquel chacun prend soin les uns des autres. Nous avons imaginé cette œuvre baptisée The Square avec un ami. Elle est censée nous rappeler nos responsabilités sociales communes, à l’échelle de l’individu comme de la société dans son ensemble. Elle amène à nous interroger sur nous même et le regard que nous portons sur nos responsabilités vis-à-vis des autres. Je voulais parler de cela car aujourd’hui nous vivons à une époque où il se passe toutes sortes de choses juste à côté de nous et pourtant nous ne réagissons pas.

Pourquoi avoir eu envie de poser un regard particulièrement critique sur le monde de l’art contemporain ?
Je suis professeur à l’université de Göteborg. Dans celle-ci il y a une filière « art contemporain » qui m’amène à avoir un contact direct avec des gens qui baigne dans ce milieu. A vrai dire, je pense autant de bien que de mal de l’art contemporain mais je pense qu’actuellement ils ont du mal à se renouveler et ont tendance à répéter ce qui a déjà été fait comme la provocation de l’urinoir de Marcel Duchamp. A se conformer finalement à la norme. J’ai visité beaucoup de musées à travers le monde et bien souvent on y voit un néon accroché au mur, quelques déchets empilées au sol… Je reproche à beaucoup d’artistes d’être un peu feignants. Après, on pourrait certainement avoir la même vision satirique du monde du cinéma mais honnêtement l’art contemporain me semble définitivement plus débile et absurde que le cinéma.

Avez-vous du essuyer des critiques de la part du monde de l’art contemporain avec lequel vous n’êtes pas tendre dans ce film ?
J’ai réussi à me prémunir des critiques en castant tout ce qui se faisait de mieux dans le monde de l’art contemporain en Suède. Et de toute façon, lorsque l’on critique ce milieu, la réaction est la plupart du temps là même. On vous rétorque que vous ne faîtes qu’enfoncer une porte ouverte. Toutefois, je tiens à préciser que ma vision sur l’art contemporain n’est pas que négative.

Vous semblez également très critique vis à vis du monde de la communication…
Si on prend l’exemple de la vidéo du film dans laquelle une petite fille explose, cela montre comment les médias essaient de créer le buzz aujourd’hui. Le conflit, la controverse crée l’attention et cela se voit également d’ailleurs dans la démocratie, la politique. Il s’agit de choquer, de provoquer pour atteindre les gens. Dans le film, l’agence de com’ utilise donc une vidéo inhumaine pour faire parler d’une œuvre humaniste et cela fonctionne car les médias s’y intéressent à partir de ce moment là. L’être humain n’est pas une créature rationnelle. J’ai réellement été confronté dans ma vie à plusieurs institutions qui essaient de communiquer de manière provocatrice afin de rendre plus concrets des concepts abstraits. Par exemple, en Suède, pour parler de l’inégalité entre les hommes et les femmes, une agence de communication a fait polémique il y a quelques temps en brûlant la différence moyenne de salaire entre les deux sexes sur un barbecue.

Etes-vous considéré comme un cinéaste provocateur en Suède ?
Je suis considéré comme un provocateur dans le cinéma suédois oui. Mais pour être plus précis, on me voit comme une combinaison entre un comportementaliste, un sociologue et un provocateur.

Comment avez-vous conçu le personnage de Christian ?
Je me suis beaucoup interrogé sur moi-même en créant ce personnage. Comme lui, je me considère comme une personne plutôt sensibilisée aux questions d’humanisme, à la sociologie. Là, j’ai voulu placer ce personnage dans des situations où il lui devient difficile de vivre en accord avec ses convictions. Ils se retrouvent donc à faire des choses dont il n’aurait jamais pensé être capable. J’aime bien cette contradiction entre nos opinions sur le plan intellectuel et notre attitude lorsque nous sommes confrontés à la réalité concrète des choses, réalité qui nous fait réagir autrement.

Dans votre film, il est question en fil rouge de pauvreté, êtes vous un cinéaste engagé voire politisé ?
Je viens de Suède, en Scandinavie, où il y a toujours eu des politiques sociales très démocratiques dans les années 70-80. Et de plus en plus, nous sommes influencés par le système libéral américain. En tant que socialiste, je crois qu’il faut une fiscalité qui réponde aux grands problèmes de la société. Ce n’est pas à chaque individu de se débrouiller en mendiant dans la rue. Il suffirait d’élever un peu les prélèvements pour pouvoir porter secours à ceux qui en ont besoin. Pour régler les problèmes, il faut s’organiser. Agir seul n’est pas une bonne idée.

En France, le modèle suédois est souvent pris comme exemple à suivre sur divers sujets. A l’inverse, à la lumière de votre regard sociologiquement aiguisé, comment la France est-elle perçue en Suède ?
La France est un pays très riche culturellement, ce qui fait votre fierté. Vous êtes très patriotes et avez un peu l’impression d’être le centre du monde. Et à juste titre. Lorsque l’on a une culture comme cela, il n’y a pas de raison de ne pas s’estimer comme étant le centre du monde. Toujours est il qu’en Suède nous aimons la France bien sûr, mais je ne dirais pas que nous avons un point de vue politique en particulier dessus. On connaît l’histoire et la situation politique française mais on ne prend pas la France comme modèle particulier…

Heureux lauréat de la Palme d’or en mai dernier, que représente Cannes pour vous ?
C’est un festival prestigieux. Ce que j’aime particulièrement à Cannes c’est que la compétition peut mettre aux prises des blockbusters américains et de petits films iraniens ou cambodgiens. C’est un lieu où l’on se concentre sur les thèmes de films. Il ne s’agit pas simplement de faire de bons films mais des films avec un message. Et d’un point de vue plus chauvin, c’est la première fois depuis 66 ans qu’un Suédois remporte la Palme d’or donc c’est une fierté.

Quelles ont été vos références cinématographiques ?
J’aime beaucoup le cinéma d’Haneke et son humour particulier. Pour moi, il n’y a pas de contradiction à faire du bon contenu et du divertissement en même temps. Bunuel a également été une grande source d’inspiration et notamment son film Le Charme discret de la bourgeoisie. J’aime son approche sans sentimentalisme. Il aime provoquer et il parle des classes, de la pauvreté sans ambages. Du côté de la Suède, j’apprécie beaucoup Roy Anderson.

Quelle est la suite pour vous ?
Le prochain projet s’appelle The Triangle of Sadness. Je m’attaquerai cette fois au monde de la mode. Le triangle en question correspond aux petites rides au dessus des yeux que la chirurgie esthétique peut supprimer en 15 minutes…

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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