People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 09/12/2016

Rencontre avec Sophie Reine et Gustave Kervern

Avec Cigarettes et chocolat chaud, Sophie Reine dégaine un premier long métrage enthousiasmant dans lequel Gustave Kervern incarne un père au grand cœur bien qu’un peu paumé.

Comment en êtes-vous arrivée à ce premier passage derrière la caméra ?
Sophie Reine : Je bosse depuis des années comme monteuse dans le cinéma. Souvent avec la société de production Mandarin. Et j’ai notamment beaucoup travaillé avec Rémi Bezançon, dès ses courts métrages. En fait, c’est à la suite d’un petit détournement du film Le Premier jour du reste de ta vie qu’on m’a fait remarquer que j’avais un vrai univers et que l’on m’a encouragé à me lancer dans la réalisation d’un film. J’ai donc commencé par faire un court-métrage qui m’a donné envie de passer au long et c’est comme ça que Cigarettes et chocolat chaud est arrivé.

D’ailleurs, pouvez-vous nous expliquer la raison de ce titre ?
Sophie Reine : Le titre fait référence à une chanson de Rufus Wainwright intitulée Cigarettes and chocolate milk et que j’adore. En fait, ce morceau parle d’un homme qui en a marre de lutter contre ses petites manies, ses imperfections et qui voudrait être accepté tel qu’il est… Tout en alternant avec des rythmes joyeux et tristes. Durant l’écriture, j’ai beaucoup écouté cette chanson et même si ce titre peut sembler un peu bizarre à première vue, il s’est imposé à nous car il correspond parfaitement à notre histoire. Le fait, en plus, qu’il questionne les gens est intéressant.

Comment est née l’idée de ce film ?
Sophie Reine : La première idée que j’avais en tête était de parler d’une jeune fille étant atteinte du syndrome Gilles de la Tourette. J’avais été bouleversée, il y a quelques années, par un documentaire sur le sujet et j’avais envie d’en parler. Puis s’est ajouté l’idée d’un père seul élevant ses enfants du mieux qu’il peut…

Avez-vous puisé dans votre propre vie pour imaginer ce film ?
Sophie Reine : Dès le départ, on m’a dit de faire un film qui me ressemble. Il y a donc une énorme part autobiographique car j’ai moi-même été élevée un peu comme les filles du film. Après la mort de ma mère, notre père s’est occupé de mon frère et moi. A la maison, on vivait avec un singe, une chèvre, on pouvait dessiner sur les murs, on mangeait ce qu’on voulait… J’ai voulu décrire cette vie où un père protecteur veut protéger ses enfants du monde extérieur. De toute façon, on dit souvent que dans un premier film, on met tout ce que l’on aime. Donc moi, j’ai mis Gustave Kervern, David Bowie, Camille Cotin, les hamsters…

Pouvez-vous nous parler du choix des comédiens ?
Sophie Reine : Gustave Kervern était dans ma tête depuis longtemps. Avant même l’écriture du film. Du coup, lorsque le scénario a été écrit, je lui ai envoyé, accompagné d’une lettre lui disant combien je l’aimais, et il a accepté plutôt vite. Honnêtement, je n’y croyais pas forcément car je ne pensais pas que le côté comédie familiale lui plaise franchement comparé à ce qu’il fait habituellement. Camille Cottin est une comédienne que j’adore également et qui apporte un vrai truc à son personnage d’assistante sociale. Elle ne critique pas la profession mais le système. Elle est juste, elle est là pour secouer cette famille et l’aider. Pour trouver les filles, on a fait la sortie des écoles - même si dit comme ça, ça peut sembler bizarre -, les cours de théâtre, les agences d’acteurs… Concernant Héloïse Dugas qui interprète Janine, on a mis longtemps à la trouver. Elle n’avait encore jamais fait de cinéma. Elle avait juste fait un peu de théâtre et elle est assez timide. Quant à Fanie Zanini qui incarne Mercredi, on l’avait déjà vu dans Suzanne de Katell Quillévéré donc ça a été plus rapide.

Gustave Kervern, qu’est ce qui vous poussé à vous lancer dans cette aventure ?
Gustave Kervern : Quand j’ai reçu la lettre et le scénario, j’ai été touché. Une comédie familiale, cela me faisait un peu peur c’est clair, mais j’ai trouvé Sophie Reine tellement enthousiaste et volontaire qu’elle m’a convaincu. C’est vraiment elle qui m’a fait accepter. Puis, le fait de travailler avec Camille Cottin a joué aussi. J’étais admiratif de son aplomb lorsqu’elle faisait ses caméras cachées dans la rue. Pour connaître l’exercice, c’est quelque chose de pas évident et elle le faisait super bien. 

Jouer avec des enfants ne vous a pas « effrayé » ?
Gustave Kervern : Moi avec les enfant, ça passe ou ça casse et là, cela s’est très bien passé avec les filles. Il y avait une vraie ambiance familiale sur le plateau.
Sophie Reine : Gustave et les filles se sont pas mal vus avant le tournage afin de nouer quelques liens, de s’apprivoiser en quelque sorte. On a organisé quelques goûters dans ce but.

Au final, vous ne regrettez donc pas d’avoir relevé le défi ?
Gustave Kervern : Absolument pas. Et j’ai été très agréablement surpris par le résultat. Il y a un optimisme qui se dégage de ce film, quelque chose de solaire et c’est très agréable dans cette période anxiogène. En plus, cela change pas mal des trucs plus trashs que je peux faire avec Groland. Donc cela m’a permis de faire une petite cure et de me sortir de l’actu pure et dure, et du cynisme.

David Bowie, par sa musique, est également très présent dans votre film…
Sophie Reine : J’adore David Bowie et il fallait qu’il soit dans le film. Mais on s’est dit que ça allait être vraiment compliqué d’obtenir les autorisations pour utiliser sa musique. Malgré tout, on a quand même essayé en envoyant simplement une demande à son manager. Et il nous a répondu que David était d’accord que l’on utilise ses morceaux pour le prix de notre budget. C’est à dire un prix ridicule. Finalement, il est décédé alors que nous étions en plein montage et là on a vraiment flippé. Car rien n’avait été signé mais heureusement pour nous, ses ayants droits ont décidé de respecter son choix.

Finalement, comment présenteriez-vous cette comédie ?
Sophie Reine : Il s’agit d’un film familial avec deux niveaux de lecture. L’un qui s’adresse aux plus jeunes et l’autres aux grands. Un peu comme les Pixar, les Simpson… J’aime quand il y a du fond, lorsque les rires et les larmes ne sont jamais très loin. Puis, on est vraiment un film indé, un petit film alternatif, pas formaté, pas bankable comme une contre programmation, à l’opposé des gros films marketés.
Gustave Kervern : Moi, au départ, je craignais ce genre de choses. Je n’avais pas envie d’une grosse comédie bien lourde justement. Comme je ne joue pas beaucoup au cinéma, je préfère autant choisir des films qui marquent plutôt que des films qui marchent pour paraphraser mon ami Benoît Delépine. Et ce film parle de l’éducation, de la mort, du travail, de la maladie, le tout en étant bien amené et en offrant un univers vraiment personnel.

Peut-on parler d’une comédie engagée ?
Sophie Reine : Le côté militant que l’on peut déceler dans le film n’est pas calculé. Cela étant, je trouve que concernant l’éducation des enfants, on leur met vachement de pression. Je le vois bien avec ma fille notamment. Avec ce film, je pose en fait un regard sur la société et le système.
Gustave Kervern : Ce film montre en quelque sorte qu’un autre monde est possible. Et il s’agit de quelque chose auquel je pense vraiment et souvent pour ma part. A travers la critique de Groland, c’est de cela qu’on parle. Un autre monde est même obligatoire. Il faut que les politiques changent. Cette utopie d’un autre monde possible, il faut essayer de la rendre réalité. Si par son pitch, le film peut sembler naïf de prime abord, il est profond et apporte un peu d’espoir.

Quels sont vos projets respectifs ?
Sophie Reine : Je m’occupe actuellement du montage du prochain film de Nabil Ayouch. En fait, j’adorerais équilibré le montage et les projets plus persos mais tout dépendra de la réussite ou non de ce film.
Gustave Kervern : De mon côté, je vais réaliser un film en août-septembre prochain avec Jean Dujardin et Yolande Moreau qui sera tourné dans un Emmaüs à Pau. J’ai également quelques projets en tant que comédien mais rien de vraiment confirmé. Sans oublier Groland évidemment, l’émission préférée de Bolloré.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

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