People/Cinema - Par Mathieu Perrichet - posté le 30/05/2018

Rencontre avec Yann Gonzalez et Nicolas Maury

Quelques jours après leur présentation cannoise, le réalisateur Yann Gonzalez et le comédien Nicolas Maury sont venus défendre les couleurs de leur thriller conceptuel Un couteau dans le cœur.

Quelle a été la genèse de ce nouveau long métrage ?
Yann Gonzalez : J’ai entendu parler un jour d’une pionnière du porno gay en France. Une véritable figure. Une femme assez violente qui aimait maltraiter ses acteurs. Elle avait une histoire d’amour avec sa monteuse. Cette idée que cet affect puisse passer par le cinéma, comme une pellicule qui se déroule m’intéressait. J’ai donc eu envie de m’inspirer de cette histoire et de jouer à fond la carte de cette métaphore filée tout au long du film. C’est vraiment ce personnage, cette héroïne, incarnée par Vanessa Paradis, avec son énergie, sa puissance, son imprévisibilité, son excessivité, qui m’a donné envie de construire ce récit. Elle place le curseur vers le contemplatif et se montre ainsi très différente de ce que j’avais pu développer dans mon premier long métrage Les Rencontres d’après minuit

Quelles ont été vos influences ?
Yann Gonzalez : Je me suis inspiré des films pornos des années 70, avec toute leur innocence, ce réel partage du plaisir. J’ai également été influencé par le cinéma d’épouvante, d’horreur, les slashers. Puis, j’aimais l’idée d’insérer un côté plus fantastique dans ce monde interlope qu’est le porno. Nombreux sont ceux à m’évoquer Dario Argento et cela tombe bien car je lui voue une admiration sans borne. En général, j’aime le cinéma qui me perd, qui ne suit pas les chemins balisés, qui use d’une vraie liberté de ton. Avec ce film, l’idée est d’emmener le spectateur en douceur dans un univers qui se positionne dans la logique du rêve, de l’imaginaire. 

Vous êtes né en 1977, mais les années 70 semblent vous avoir particulièrement marqué…
Yann Gonzalez : Les années 70 sont des années fortes. Elles m’ont clairement nourri durant mon enfance, ma jeunesse. Le cinéma, l’art, la littérature de ces années là m’inspirent beaucoup. J’aimais la mélancolie qui habitait les visages des films porno à cette période. Cela préfigurait les malheurs à venir, à commencer par le sida. Après, je ne regarde pas non plus dans le rétro en permanence.
Nicolas Maury : En tant que comédien, on sentait que l’on tournait vraiment avec de la pellicule et qu’il fallait que l’on soit à la hauteur de l’audace de l’époque. Dans les années 70, le porno était un art qui fonctionnait très bien au cinéma. Ces films sulfureux, érotiques, dévoilait une jeunesse insouciante que Yann a voulu retranscrire. Pour autant, malgré ces influences, il ne s’agit vraiment pas d’un film musée. Il est très actuel. 

Comment vous y êtes vous pris pour reconstituer l’ambiance des 70’s ?
Yann Gonzalez : C’est dommage. Toute la reconstitution des années 70 passe par le prisme de la lumière. Je ne voulais pas une reconstitution académique que je trouve un peu effrayante. En France, on est dans une époque où l’on a peur d’en faire trop au niveau de la forme. La lumière est là pour raconter quelque chose des personnages, de leur intensité. Je voulais que tout soit crédible en termes de libertés sexuelle, amoureuse, identitaire. Mais je ne dirais pas qu’il s’agit d’un film d’époque.

Malgré le contexte, le sexe n’est jamais montré de manière frontale. Pourquoi ce choix ?
Yann Gonzalez : J’ai conservé le côté ludique, primitif du porno des débuts. Je ne voulais pas de scènes crues de fellation, de pénétration, qui viennent casser cette innocence, cette candeur du porno d’origine qui présentait le sexe dans une ambiance pastorale, mélancolique. Il y avait un côté artisanal, bricolé que je voulais conserver.
Nicolas Maury : En fait, la plus grande pénétration de ce film, c’est celle du cerveau d’Anne, incarnée par Vanessa Paradis. On assiste à une sorte de dissection de son esprit. C’est un personnage en reconstruction. On est vraiment avec elle dans sa quête. On pénètre vraiment la tête d’une femme avec tout ce que cela comporte : sa force, sa vulnérabilité, etc.

Pouvez-vous nous parler du choix de Nicolas Maury pour incarner Archibald ?
Yann Gonzalez : J’ai pensé à Nicolas Maury dès l’écriture. On avait déjà travaillé ensemble. Pour moi c’est un génie. Le comédien le plus doué de sa génération. J’ai vraiment écrit en pensant à son visage. Il est très inspirant. C’est un acteur intelligent, qui propose des choses extraordinaires. Quand je travaille avec quelqu’un, je ne veux pas que ce soit uniquement fonctionnel. C’est de la création libre. J’aime être porté par l’équipe, les acteurs, leur envie à tous de faire le film, comme ça a été le cas ici.

Nicolas Maury, avez-vous accepté ce rôle tout de suite ?
Nicolas Maury : Lorsque l’on a déjà tourné avec quelqu’un et que cette personne pense à nouveau à vous, je vois cela comme un cadeau. Cela veut dire que l’on a encore quelque chose à offrir, à donner. Le ruisseau ne s’est pas tarit. Donc ça a été un grand oui tout de suite. 

Comment avez-vous pensé à Vanessa Paradis ?
Yann Gonzalez : Comme je l’indiquais, j’avais envie de montrer l’innocence de ce monde du porno des années 70  et Vanessa Paradis incarnait cela. Il y a quelque chose de l’ordre de la virginité chez elle. On a toujours l’impression qu’il s’agit de son premier film lorsqu’elle tourne. Avec le désir, le jeu, le naturel de l’enfance. C’est unique chez une actrice, une star, une icône. Elle est bouleversante. Ca a été une rencontre très forte humainement et cinématographiquement. J’ai pensé à elle dès la fin de l’écriture. Dès que cette hypothèse a germé dans mon esprit, ça ne pouvait être personne d’autre qu’elle. 

Comment avez-vous vécu votre sélection à Cannes ? 
Yann Gonzalez : J’ai été étonné de me retrouver en sélection. C’était inouï et un rêve. Après, la réception a été très clivée. Cela a été violent dans un sens comme dans l’autre. Les gens ont soit adoré, soit détesté. Avec ce film, nous donnons à voir un monde parallèle, qui a éclaté officiellement en pleine lumière à Cannes, et ça ne plait pas à tous. 
Nicolas Maury : Selon moi, ce film a tout à fait sa place dans une sélection. C’est du cinéma d’auteur. On n’a pas à se poser de question. Cela me paraît logique d’avoir été là bas. Il ne faut pas avoir de complexe et se voir comme le cousin pauvre qui débarque à Cannes sur la pointe des pieds.

Propos recueillis par Mathieu Perrichet

A lire également

Un couteau dans le coeur
Un couteau dans le coeur

Sortie : 27/06/2018

Paris, été 1979. Anne est productrice de pornos gays au rabais. Lorsque Loïs, sa monteuse et compagne, la quitte, elle tente de la reconquérir en tournant un film plus ambitieux…